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Cannes 2025 : on a vu Valeur sentimentale, le coup de cœur bouleversant du Festival

Par Antoine Desrues
22 mai 2025
© Memento

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de revenir sur Stellan Skarsgård.

Après le triomphe mérité de Julie (en 12 chapitres) qui l’a emmené jusqu’aux Oscars, Joachim Trier espère sans doute transformer l’essai. Le réalisateur norvégien s’est imposé petit à petit à Cannes depuis Oslo, 31 août, et continue de cre un sillon aux inspirations bergmaniennes assumées.

Avec Valeur sentimentale, on pouvait craindre que l’artiste se repose un peu trop sur ses lauriers, entre sa caméra sensible, son rapport à une intimité au bord du gouffre, et la délicatesse de sa direction d’acteurs. Il y a de tout ça dans son nouveau film, mais remodelé avec une densité folle. Retour sur l’un de nos coups de cœur de la compétition.

Faire maison nette

De quoi ça parle ? Agnès et Nora voient leur père débarquer après de longues années d’absence. Réalisateur de renom, il propose à Nora, comédienne de théâtre, de jouer dans son prochain film, mais elle refuse avec défiance. Il propose alors le rôle à une jeune star hollywoodienne, ravivant des souvenirs de famille douloureux.

Et ça vaut quoi ? Dans ses premières minutes, Valeur sentimentale n’est pas sans rappeler l’incompris Here de Robert Zemeckis. Au travers d’une vieille rédaction de Nora, qui personnifie la grande maison de son enfance, on retrace pratiquement un siècle d’existence de sa famille dans cette bâtisse qui a encapsulé les joies et les tristesses de plusieurs générations. Le lieu est lui-même marqué par une souf, représentée par une fissure dans ses fondations, qui l’affaisse inexorablement au fil du temps.

valeur sentimentale
A peine sorti d’Andor, Stellan Skarsgård nous offre l’une de ses meilleures performances

L’idée pourrait sembler lourdement symbolique, mais Joachim Trier sait ce qu’il fait. Alors que la beauté de sa photographie en 35mm donne une patine aérienne et pastel à son univers visuel, tout est question d’équilibre entre l’onirisme sous-entendu par ses situations et le retour concret du réel, marqué par des coupures abruptes au noir. Le concept de foyer y est perçu comme un chaos fragile, autant par le cinéaste que ses personnages, conscients du poids symbolique de leur maison de famille et de l’électricité contenue entre ses murs.

C’est dans ce flottement que réside la beauté du film, où il n’est pas juste question de voir un artiste vieillissant (Stellan Skarsgård) opérer une forme de mise en abyme de sa vie sur le scénario qu’il a en tête depuis longtemps. Au contraire, Gustav Borg ne cesse de répéter que son projet (tournant autour des envies suicidaires d’une jeune maman) ne parle pas de sa propre mère, qui s’est pourtant pendue quand il était jeune.

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Nous pendant le film

Les époques se confondent, mais les traumas restent et se partagent, alors que Nora (Renate Reinsve), actrice de théâtre confirmée, refuse le rôle principal. Cela n’empêche pas pour autant le retour de son père absent de réveiller les cicatrices du é, posant sans cesse la question des motivations de Gustav. Cherche-t-il à comprendre l’acte de sa mère au travers de son film ? À se reconnecter avec Nora et sa sœur Agnès (Inga Ibsdotter Lilleaas) via son art ? Ou espère-t-il le pardon ?

Au-delà du brio d’une écriture qui fait des protagonistes les faces changeantes d’un Rubik’s cube ionnant à analyser (Trier s’est une nouvelle fois associé avec son co-scénariste Eskil Vogt), tout se repose sur la matière même des plans et du montage, où chaque coupe et chaque raccord donnent à percevoir une rupture ou un rapprochement dans ces relations humaines complexes. On relèvera la beauté de certains champs-contrechamps (surtout vers la fin), qui portent en eux la puissance du non-dit et des regards.

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Scène bouleversante

On savait Joachim Trier brillant directeur d’acteurs, mais Valeur sentimentale e encore au stade supérieur, justement parce que ses personnages essaient perpétuellement d’être dans la performance, d’analyser leurs émotions et celles des autres, pour mieux se planter dans les grandes largeurs. Le cinéaste en tire un humour noir efficace, ainsi qu’une psychologisation artistique aux accents hitchcockiens. Suite au refus de Nora de jouer dans son film, Gustav se tourne vers la star américaine Rachel Kemp (Elle Fanning), qu’il tente de remodeler comme un Pygmalion maladroit.

Dans cette valse des sentiments, l’appel de l’abîme finit par révéler à son trio familial ce qu’ils sont réellement. Difficile de penser qu’on pourra voir plus émouvant lors de ce Festival de Cannes que cette discussion à cœur ouvert entre Nora et Agnès sur leur rôle de sœur, et les différences et regrets qui émaillent leur vie respective (Agnès a délaissé l’actorat, et a préféré fonder une famille).

Julie (en 12 chapitres) Renate Reinsve
Renate Reinsve dans Julie (en 12 chapitres)

Renate Reinsve confirme le talent magnétique qui était le sien dans Julie (en 12 chapitres). Stellan Skarsgård, plus charismatique que jamais, rappelle à quel point il est un comédien intense, et Inga Ibsdotter Lilleaas s’impose comme une révélation. Des prix d’interprétation ne seraient pas volés, mais on espère que le génie narratif de Joachim Trier sera récompensé d’une autre manière.

Et ça sort quand ? Le 20 août, grâce à Memento.

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