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Le miracle de La Zone d’intérêt : après les Oscars, pourquoi son succès fait du bien au cinéma

Par Antoine Desrues
26 mars 2024
MAJ : 24 avril 2024
La Zone d'intérêt : Le miracle de La Zone d'intérêt : après les Oscars, pourquoi son succès fait du bien au cinéma

Après avoir été récompensé à Cannes et aux Oscars, La Zone d'intérêt se confirme en véritable succès du box-office, en comme à l’international.

Depuis sa première présentation au Festival de Cannes 2023 et l’obtention du Grand prix de la compétition, La Zone d’intérêt connaît un parcours des plus fascinants (et rares) sur le long terme. Au même titre que la Palme d’Or de cette même année, Anatomie d’une chute, son succès critique s’est accompagné d’un sacré bouche-à-oreille, et d’une myriade de récompenses jusqu’au sacre des Oscars, où il a remporté la statuette du meilleur son et du meilleur film étranger.

Mais contrairement à Anatomie d’une chute, qui a profité de l’élan de son prix cannois et de l’excitation de la presse pour une sortie durant l’été 2023, le long-métrage de Jonathan Glazer a patienté jusqu’en décembre 2023 pour sa sortie américaine, et jusqu’au 31 janvier 2024 pour sa sortie française. Un certain pari pour une œuvre hors-norme, qui est parvenue à trouver son public.

 

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la stratégie d'A24

En un peu plus de 20 ans, Jonathan Glazer n’a signé que quatre longs-métrages, au-delà de sa carrière fructueuse dans la publicité et le clip. Même si Under the Skin est aujourd’hui considéré comme l’un des films majeurs des années 2010, le chef-d'œuvre métaphysique porté par Scarlett Johansson n’a rapporté lors de son exploitation que 7 millions de dollars dans le monde, en comptant ses ressorties en 2020 et 2021. Étant donné que son budget était estimé à 13 millions, il convient de parler d’un échec commercial, sans doute compensé par l’aura du film et sa deuxième vie sur d’autres canaux de diffusion.

Par ailleurs, il est important de noter qu’Under the Skin était déjà distribué par A24, bien avant que la société ne devienne la marque phare du cinéma d’art et essai outre-Atlantique. La Zone d’intérêt avait donc deux cartes à jouer : celle de son auteur acclamé, et celle de son distributeur au marketing bien rodé, qui ne s’y est pas trompé.

 

La zone d'intérêt : Photo Christian FriedelChristian Friedel, glaçant en Rudolf Höss

 

Le problème d’A24, c’est sa vision irréaliste du marché international, et du potentiel surestimé de ses films. Quand il s’agit de céder des droits de distribution à l’étranger, la firme impose régulièrement des prix exorbitants et bien trop risqués en cas de flops. Sur La Zone d’intérêt, la stratégie s’est avérée encore plus agressive. Produite dans le plus grand secret, l’adaptation du roman de Martin Amis n’a rien dévoilé de sa fabrication avant l’annonce de sa présence à Cannes (et même là, il a fallu se contenter d’une unique photo).

Le projet d’A24 était évident : créer la surprise lors du festival, et attendre que les distributeurs internationaux ajoutent des zéros sur des chèques. Pour ce qui est de la , Bac Films a pourtant réussi à contourner cette stratégie, en insistant pour voir le film dès le début d’année de 2023. Le directeur de programmation, Philippe Lux, a depuis raconté le pari insensé de la société en interview, pour Box-office Pro. Malgré le manque d’informations et la réticence d’A24 à montrer la moindre image, ils ont choisi de faire une offre à l’aveugle (a priori conséquente) pour récupérer les droits du film.

 

The Zone of Interest : PhotoLa photo en question

 

Un carton français...

Bac Films devient donc le distributeur français de La Zone d’intérêt juste avant sa projection cannoise, et joue le jeu du mystère. Le risque paye : la presse est globalement extatique, et la singularité de l’approche promet de faire parler d’elle. La dureté du sujet (la Shoah), forcément inquiétante sur le papier, offre en réalité la possibilité d’un véritable accompagnement, notamment auprès des publics scolaires au travers de séances spéciales et d’un dossier pédagogique.

Ajoutez à ça les avant-premières permises par le festival Télérama quelques semaines avant sa sortie, et La Zone d’intérêt s’est retrouvé avec une première semaine à 239 000 entrées (en comptant les avant-premières), au point de déer le blockbuster Argylle de Matthew Vaughn et ses 219 000 tickets vendus.

 

La Zone d'intérêt : photoSaluons le travail impressionnant des VFX (notamment pour l'arrière-plan de cette image)

 

Avant ces premiers chiffres impressionnants, Philippe Lux disait espérer un total de 400 000 entrées pour le film dans l’Hexagone. Autant dire qu’il était loin du compte. Au terme de sa septième semaine d’exploitation le 20 mars, le long-métrage a totalisé 740 000 entrées. On peut supposer qu'il terminera sa course aux alentours des 800 000, grâce à une chute de fréquentation à la fois faible et stable (30% entre la première et la deuxième semaine, et 21% entre la deuxième et la troisième).

Pour une œuvre au dispositif si particulier (oserait-on dire exigeant), c’est assez inespéré. À titre de comparaison, les deux précédents films de Jonathan Glazer, Birth et Under the Skin, n’avaient respectivement attiré que 170 000 et 150 000 spectateurs. D’ailleurs, la peut se targuer d’être le plus gros marché de La Zone d’intérêt à l’international, devant l’Allemagne et l'Italie.

 

La Zone d'intérêt : photoUne séquence magistrale

 

...et aux États-Unis ?

Bien que les sources soient imprécises, La Zone d’intérêt aurait coûté un peu plus cher qu’Under the Skin, soit environ 15 millions de dollars. Avec désormais 37 millions de dollars de recettes dans le monde, le film semble au moins rentable rien qu’avec son exploitation sur grand écran, ce qui n’est pas une évidence pour ce genre de propositions.

À ce sujet, il faut s’attarder sur sa sortie américaine. A24 a d’abord opté pour une exploitation limitée à 4 cinémas dans le pays, avant d’étendre le parc de salles dans les semaines suivantes. Mais même là, La Zone d’intérêt n’a pas déé un total de 598 écrans. Pour comparer, la a sorti le film sur un maximum de 600 salles, malgré un territoire beaucoup plus petit.

C’est peu, mais ça ne l’a pas empêché d’amasser 8,5 millions de dollars aux États-Unis. Un score tout à fait honorable, surtout dans le contexte des distributions d’A24. Pour rester sur des exemples récents, c’est plus que les 5,7 millions de Dream Scenario avec Nicolas Cage (sorti sur un maximum de 1 578 copies) et plus que les 8,1 millions de Beau is Afraid (sorti sur un maximum de 2 125 copies).

 

Beau is Afraid : photo, Joaquin PhoenixEt on rappelle que Beau is Afraid a coûté pour sa part... 35 millions de dollars

 

La “rareté” de La Zone d’intérêt a visiblement joué en sa faveur, ou a du moins eu un impact sur son aura d’événement immanquable. Finalement, la meilleure comparaison avec un autre film A24 (et camarade dans la compétition à l’Oscar du meilleur film) est peut-être à chercher du côté de Past Lives de Celine Song. Présenté sur un maximum de 906 copies, le premier long-métrage phénomène a terminé son exploitation américaine avec 11 millions de dollars en poche, après un accueil critique dithyrambique.

On est certes loin des braquages récents du distributeur avec Everything Everywhere All At Once (111 millions de recettes mondiales) et La Main (92 millions). Néanmoins, avec La Zone d’intérêt, A24 confirme avant tout sa force de frappe et sa stratégie de marque, ainsi que sa capacité à accompagner des œuvres vers des hauteurs inattendues.

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Euh
Euh
il y a 1 année

Le concept fonctionne 25/30 min, ce serait donc vraiment un parfait court métrage

Pseudonaze
Pseudonaze
il y a 1 année

Vu le weekend dernier, bon comment dire…et bien je n’ai pas aimé du tout…trop froid, trop clinique, ça respecte (trop) à la lettre le petit guide du Kubrick à la lettre avec des loooooonnnnng plans fixes super géométriques et bien symétriques avec de temps à autre un bon petit traveling latéral…
Les séquences en caméra infrarouge sont chelou et arrivent comme des cheveux sur la soupe…
Ce travail du son tellement survenu qui déçoit finalement…
Pire : comme les seuls personnages qu’on suit sont ceux qui composent cette famille nazi et bien mécaniquement on s’attache à eux et a leur histoire de « mutation » dans une autre région…
Non je n’ai définitivement pas aimé du tout… à trop vouloir rendre abstrait le mal absolu on finit par le rendre invisible !
Je m’en vais revoir « Ombres et brouillard » et « la liste de Schindler » et aussi « De Nuremberg à Nuremberg »…et aussi la série »Holocauste ».