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Cry-Baby : Johnny Depp en pleurs et Iggy Pop en plouc pour John Waters

Par Chloé Chahnamian
9 octobre 2022
MAJ : 24 mai 2024
Cry-Baby : Photo Johnny Depp

Avec Johnny Depp.

Seulement quelques mois avant de devenir la muse de Tim Burton grâce à Edward aux mains d'argent, Johnny Depp a joué dans le film qui a fait de lui l'idole des jeunes et qui a assis son image de bad boy : Cry-Baby, de John Waters.

Avec ses films expérimentaux trash et jugés obscènes, comme Pink Flamingos (1972) et Female trouble (1974), dans lesquels la drag-queen Divine joue les premiers rôles, Waters a vite obtenu le statut de provocateur. Il reste à ce jour une figure marquante de la représentation queer au cinéma, au même titre que le maitre de l'underground Kenneth Anger, dont il s'inspire librement.

Après ces films complètement barjos, l'expérimentateur perce en 1988 avec le teenage movie musical Hairspray, son premier film grand public. Mais c'est avec Cry-Baby qu'il signe son œuvre la plus connue et accessible, et donc la meilleure porte d'entrée pour (re)découvrir ce cinéaste fou. Dans Cry-Baby, John Waters s'intéresse à la sous-culture du rockabilly et réinvente encore le teen movie, toujours grâce au musical, mais en parodiant Roméo et Juliette, en y ajoutant un soupçon de Grease et une bonne grosse cuillère de kitsch.

 

Cry-Baby : Photo Johnny Depp, Ricki Lake, Traci LordsBienvenue chez les frocs moulants

 

Les Capulet et Montaigu des années 50

Dès la séquence d'exposition, le ton de Cry-Baby est donné. Dans cette espèce de réfectoire réhabilité en infirmerie, les lycéens font la queue pour recevoir le vaccin contre la polio et déjà deux bandes s'opposent, les "coincés" et les "frocs moulants", tous très fiers d'appartenir à l'une de ces deux cases. Quand les regards de Wade Walker alias Cry-Baby (Johnny Depp) et d'Allison Vernon-Williams (Amy Locane) se croisent, le spectateur comprend de suite où John Waters veut nous emmener.

Avec ses boucles anglaises blondes parfaitement attachées dans une queue de cheval haute et sa robe bien fermée jusqu'en haut, Allison est la parfaite coincée, soit le parfait contraire de Cry-Baby, le jeune insolant à la veste en cuir et la mèche rebelle. Cette opposition rappelle évidemment celle de West Side Story, elle-même héritée de la tragédie de William Shakespeare, Roméo et Juliette.

 

Cry-Baby : Photo Amy LocaneJuliette avant Roméo

 

Ce thème classique, revisité à maintes reprises depuis, est la base du scénario de Cry-Baby. On y retrouve toutes les étapes, du coup de foudre à la complication, en ant par la séparation avant la réconciliation des deux camps. Si ici les deux opposants ne sont pas des familles rivales, le problème reste le même. Depuis l'arrivée des frocs moulants et de la sous-culture du rockabilly, les conservateurs de Baltimore ont vu leur paix ébranlée. Désintéressée des concours d'éloquence et de la bienséance, cette nouvelle génération jure, se dandine et conduit des motos.

Waters se sert de cette trame classique pour la tourner en dérision et pour, finalement, opposer les deux classes sociales et culturelles dominantes des années 1950. Si West Side Story de Robert Wise, sorti en 1961, est peut-être le premier à rendre musicale cette tragédie, le teen movie a aussi puisé dans cette opposition avec Grease et Dirty Dancing pour ne citer qu'eux.

 

Cry-Baby : Photo Johnny Depp, Ricki Lake, Traci Lords, Darren E. Burrows, Kim McGuireLe camp des vestes en cuir

 

Dans le film de Randal Kleiser sorti en 1978, Danny Zuko et Sandy Olson appartiennent à deux bandes différentes, les T-Birds et les Pink Ladies. Si rien ne les oppose fondamentalement, Danny et Sandy semblent tout de même venir de deux mondes différents, comme nos chers Cry-Baby et Allison, mais aussi comme Johnny Castle et "Bébé", les héros de Dirty Dancing. John Waters semble s'adresser à un public averti, au courant du teen movie et de ses lieux communs.

Infiniment musical, Cry-Baby illustre aussi cette opposition en affrontant deux genres musicaux, le rock'n'roll et le Doo-wop, un sous-genre du rhythm and blues presque caricaturé dans le film par Baldwin, l'ancien petit ami d'Allison bien propre sur lui. L'opposition entre les deux groupes sociaux est parfaitement illustrée par ce conflit musical, mais aussi dansant, les coincés préférant les claquements de doigts et les frocs moulants les danses lascives avec option échange de salive.

 

Cry-Baby : photoUne certaine idée du slow

 

Le teen movie à la sauce John Waters

Le genre principal de Cry-Baby est sans aucun doute le teen movie. Bien que trash et grossier, le long-métrage de John Waters se sert justement des codes bien établis du genre pour les détourner. On assiste donc à la fameuse séquence du relooking, utilisée dans de nombreuses comédies comme Clueless, Le diable s'habille en Prada et bien évidemment Grease. Après un age entre les mains expertes des filles de la bande de Cry-Baby, Allison la coincée ressort en proto-Olivia Newton-John, troquant une robe blanche à froufrous pour un pantacourt moulant et un haut inspiration bustier.

Par cette transformation physique, Allison devient une véritable rebelle et s'approprie cette autre culture. Le relooking est aussi une façon de s'affranchir de la pression familiale et de s'émanciper pleinement. La scène du premier baiser, autre lieu commun du teen movie, est également détournée. Les deux tourtereaux se retrouvent dans un parc pour le traditionnel, premier rendez-vous, sauf qu'au moins huit autres couples sont en train de s'adonner à une occupation un peu plus charnelle. Le premier baiser, normalement romantique et pudique, est balayé par Cry-Baby et Allison qui préfèrent plutôt le french-kiss.

 

Cry-Baby : Photo Johnny Depp, Amy LocaneVive les brushings

 

Si les lieux phares du teen movie sont présents, comme le bar pour adolescents ou encore le parking du lycée, les personnages correspondent aussi à des stéréotypes. On retrouve la copine jalouse, la mère conservatrice, et bien sûr le couple formé par les deux plus belles personnes du lycée. John Waters revisite des figures récentes du genre en faisant de ses deux héros des clichés sur pattes. Plus que des hommages à Danny Zuko et Sandy, ils en sont de parfaites parodies. 

Avec le personnage de Cry-Baby, John Waters convoque les icônes des années 50 que sont le Marlon Brando d'Un tramway nommé Désir et le James Dean de La Fureur de vivre, des rebelles iconifiés et des modèles de virilité de l'époque. Le plus grand hommage est rendu à Elvis Presley, du costume porté par Cry-Baby sur scène à son déhanché, mais pas que. Toute la séquence en prison rappelle Le rock du bagne, film musical de Richard Thorpe sorti en 1957, dans lequel Elvis est emprisonné après un meurtre accidentel. Cry-Baby se retrouve en prison après l'insurrection des coincés, porte des rayures comme Elvis, chante à travers les barreaux comme Elvis et danse avec ses camarades, comme Elvis.

 

Cry-Baby : Photo Johnny DeppLa souplesse des prisonniers de Baltimore

 

Ce qui différencie Cry-Baby des autres teen movies de son époque, c'est qu'il rejette complètement la fadeur parfois niaise de films comme Greasepour ne citer que lui. Ici, il fait appel à des caricatures, à des acteurs difformes, comme l'actrice Kim McGuire et son personnage surnommé "Délit de faciès" dans la version française. Traci Lords, qui joue Wanda Woodward, est une ancienne star du porno et Patricia Hearst, qui interprète la mère de Wanda, a fait de la prison. Iggy Pop, déjà une star de la musique, se voit confier son premier vrai rôle au cinéma avec tonton Belvedere, le redneck absolu qui se lave dans une bassine.

Contrairement à la majorité des teen movies qui perpétuent une image très stéréotypée de l'homme, Cry-Baby rejette la masculinité toxique avec le personnage joué par Johnny Depp. Il est un héros bad boy qui correspond parfaitement à certains critères de beauté certes, mais à qui on laisse le droit d'exprimer ses sentiments et de lâcher une larme presque symbolique.

 

Cry-Baby : Photo Johnny DeppLa goutte à l'œil

 

L'allégorie du too much

De la scène d'ouverture au plan final, Cry-Baby assume pleinement son côté artificiel qui se ressent tout d'abord dans le jeu des acteurs. Du débit vocal au jeu corporel, les personnages sont excessifs. La voix de Johnny Depp est tellement suave qu'il semble parfois chuchoter. Les gestes sont si exagérés qu'un côté presque cartoon ressort à certains instants, comme quand Cry-Baby t ses mains et les mets sur sa joue pour s'endormir.

En plus de la mise en scène, le montage est également excessif. Certaines transitions et d'autres effets, comme des superpositions, seraient considérés comme kitsch et donc de mauvais goût chez plusieurs cinéastes, mais pas chez John Waters qui fait de cette abondance un attrait visuel incontestable. 

 

Cry-Baby : Photo Johnny DeppL'égo masculin

 

Oubliez les tentatives de véracité des teen movies : dans Cry-Baby les enfants prennent le volant, le saxophone se joue sans les doigts et la course en voiture de Grease laisse place à une course SUR la voiture. Le long-métrage est aussi plein d'incohérences, comme la présence inexpliquée de photographes et de journalistes tout le long du film ou encore la séquence du procès, auquel les parents des jeunes sont présents alors qu'elle se déroule quelques minutes seulement après l'affrontement entre les frocs moulants et les coincés. Mais peu importe, Cry-Baby nous emporte dans sa folie avec tous les non-sens qui vont avec.

John Waters y va à fond dans le symbolisme, crée des liens avec Scorpio Rising de Kenneth Anger, le film expérimental qui a ancré l'image du motard. Les multiples références à la pop culture font de Cry Baby un film pot-pourri, souvent grotesque, mais attachant dans son idée de rendre hommage à des figures du cinéma, mais aussi à des formes, du teen au musical en ant par le cinéma underground et les clips musicaux.

 

Cry-Baby : Photo Johnny Depp, Amy Locane"Cry-Baby, cry"

 

Tout le film suinte le too much et c'est bien ce point qui le rend savoureux. Avec Cry-Baby, John Waters a mis en scène une œuvre kitsch à souhait et carrément camp. Comme à son habitude, il a bousculé les codes du genre pour créer un film fou et décalé. Cry-Baby participera clairement à l'iconisation de Johnny Depp, qui deviendra une figure de la jeunesse comme le présageait John Waters en le comparant à James Dean et Elvis. 

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Truc Biule
Truc Biule
il y a 2 années

Jamais vu le film malheureusement il ne ait pas dans ma petite ville.
Mais ai le souvenir que la promotion était aussi tourné sur l’actrice porno Traci Lords