COUSU MAIN
Sheila galère entre un boulot absurde, un grand fils la parasitant avec un manque d’autonomie et une envahissante copine et un célibat qui la pèse chaque jour un peu plus. Qu’à cela ne tienne, Sheila e le pas de porte d’une agence matrimoniale et s’achète une robe flambante neuve. Sauf que l’étoffe en question est maudite, que la boutique dont elle provient a des petits airs d’atelier diabolique et que la saison est à la poisse spectrale.
Les deux précédents films de In Fabric, le cinéaste lâche tout à fait les chevaux, et se retrouve au grand galop sitôt l’ouverture du récit, avec pour seul objectif de donner la vie à son fantasme de celluloïd. Comme on pouvait s’y attendre, il nous immerge dans un univers à mi-chemin entre Lynch et Argento, tout en s’éloignant radicalement des nombreux films qui en usent comme de matrices fétichistes.
Bien sûr, Strickland est amoureux de ces microcosmes baroques, de leurs photographies sublimes, des rouges profonds de leurs scènes inoubliables, comme de la surpuissance émotionnelle du fantastique transalpin. Mais il ne les agence pas ici pour en rester à un hommage, pas plus qu’il n’ordonne son film comme un mausolée inhospitalier. La bouffonnerie, le grand guignol et le grotesque ont toujours fait partie de la galaxie de l’auteur, toutefois, c’est aujourd’hui avec une franche décomplexion qu’il les manie.
PLUS ON EST DE FROUFROUS…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, et en dépit de franches bouffées d’angoisses, In Fabric est une comédie impayable, d’une drôlerie parfois irrésistible, qui accroche avec une malice étonnante les non-sens d’une culture de la performance dénuée de finalité et d’échappatoire. Non pas que le réalisateur propose un pastiche ou une parodie des chefs d’œuvres qui l’ont marqué, mais il utilise leur folie à des fins bien différentes. Etonnante posture que celle de l’artiste, capable de ridiculiser ses inspirations tout en les mettant au pinacle, comme lors d’une séquence hallucinogène, où, pendant que des sorcières azimutées tripotent des mannequins poilus, un satire s’égoute avec grandiloquence.
Qu’on croise un duo de managers que la perfection des ingénieurs émoustille, qu’on accompagne une propriétaire de robe dans une descente aux enfers tristement dénuée de gamètes humides ou qu’on s’interroge sur la nature véritable de sorcières qui servent de vendeuses à l’étrange magasin qui obsède tous les personnages, le rire (nerveux ou sincère) est toujours en embuscade. Notre civilisation est démente, assène un Strickland hilare, et c’est avec une gourmandise un peu démente qu’il le démontre. Le cadre nous rappelle sans cesse qu’ici, l’enfermement est roi. Les gags amers, les retournements invraisemblables, les chausses-trappes maléfiques, sont des ingrédients communs, auxquels nos vies sont vouées, comme pour mieux nous soulager de l’horreur environnante.
Une vendeuse pas comme les autres
Alors que chaque personnage avance vers son point de rupture avec une folie contagieuse, on est souvent sidéré par l’intelligence teintée de férocité avec laquelle Duke of Burgundy, le cinéaste semble ici nous offrir ce qui manque cruellement à ses anti-héros, tous promis à un destin funeste : une soupape délirante, qui à défaut de donner sens à l’existence, la rend able.
Déjà convaincu par ses deux premiers films, impatient de découvrir celui-ci