Séries

Vampires, Mortel, Marianne… : Netflix, sauveur ou fossoyeur des séries de genre françaises ?

Par Mathieu Jaborska
4 avril 2020
MAJ : 21 mai 2024
Vampires : Photo Oulaya Amamra

Le fantastique et l'horreur fleurissent sur Netflix. Et la plateforme a donné une belle  place aux séries françaises de genre. Pour le meilleur ? Pour le pire ? Et avec quel avenir ?

La création française charrie son lot de stéréotypes et avis arrêtés. A en croire les âmes chagrines, le cinéma hexagonal ne se composerait que d'atroces comédies produites pour le prime time, les séries en seraient encore à Joséphine, ange gardien et les propositions de genre seraient bien incapables de faire jeu égal avec leurs concurrents espagnols, britanniques ou encore américains. Autant d'affirmations qui reposent sur pas mal d'années de traumatismes, mais qui sont loin de s'avérer exactes et ont tendance à regarder dans le rétroviseur, plutôt que vers les écrans d'aujourd'hui.

On le voit avec Netflix, qui compte désormais parmi les principaux diffuseurs de productions françaises au niveau international, et qui a initié plusieurs séries dites de genre, la réception, l'exploitation et la production de ce type d'oeuvres est un défi, dont l'issue n'est jamais certaines. Après Vampires, la plateforme est-elle en e de sauver l'horreur à la française, ou d'entériner sa malédiction ?

 

photoPentacle : 0,5/20

 

ORIGINALITÉ MADE IN NETFLIX

Alors que le chemin de croix hallucinant et précaire d’auteurs indépendants tels que Blood Machines) ne choque plus que les amateurs, dépités de voir les quelques approches originales du genre disparaître dans les limbes de la distribution anecdotique, l’arrivée de l’empafé Netflix a de quoi susciter la méfiance. Autrement dit, la plateforme a intérêt à ne pas se contenter de perpétuer des tropes éculés depuis belle lurette. Le fan de fantastique moderne exige d’un producteur aussi influent un certain équilibre entre intrigues populaires et approches innovantes. Les produits en question étant destinés à être vus du grand nombre, il s’agit de ne pas dégouter un public pas franchement habitué à entendre des vampires parler français.

Difficile de jeter la pierre à Netflix sur ce point là. Certes, personne ne verra dans ce de trois séries des expérimentations visuelles et thématiques particulièrement radicales, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. Le fait de proposer à des auteurs de mettre en scène un univers fantastique sans s’encombrer de pincettes constitue déjà une forme de prise de risque. Les trois œuvres s’adressent avant tout à des novices méfiants envers ce type d’essais. Mieux vaut ne pas s’attarder la dessus et souligner tout de même que Marianne se veut métaphore du processus d’écriture, Vampires s’attaque sans peur ni reproche au mythe surinterprété éponyme, et Mortel met en scène un imaginaire souvent mal perçu.

 

photoMagic people, voodoo people

 

Des dizaines d’années après le chef d'oeuvre de Frédéric Garcia, liant les peines de cœur d’adolescents à l’attrait d’un surnaturel plus sournois qu’il n’en a l’air. Moins subtil, le parallèle n’en demeure pas moins intéressant et témoigne d’une volonté de trouver le point de balance entre fantastique référencé et mise en scène réaliste imposée par des budgets loin d’être faramineux.

Les deux dernières productions sont similaires sur ce point. Étrangement, Vampires et Mortel n’hésitent pas toutes les deux à verser dans le social, et à projeter au cœur de leur récit des ados (on reste sur Netflix) issus d’environnements différents. Alors que la banlieue de Mortel ne sert que de cadre narratif et esthétique (BO playlist à l’appui), le décorum de la fiction de Anne Cissé vampirise les enjeux, finissant par transformer une lutte des castes suceuses de sang en lutte des classes. On est loin du proto-Twilight 2.0 prophétisé par les oiseaux de mauvais augure. L’exilé romantique ne fait plus tant rêver.

Mieux : le tout est emmitouflé dans une patine visuelle convoquant sans vergogne les styles des « cinéastes-références », ces grands noms cités par tous les réalisateurs en herbe dont le plus célèbre exemple reste Argento et ses éclairages expressionnistes. La ficelle est grosse, mais démarque au moins la série du tout venant éclairé flat, misant tout sur un étalonnage feignant.

 

photoLa crème du néon-réalisme

 

A ce propos, la moins bancale des propositions est sans conteste Marianne, parvenant pour le coup sans mal à faire le grand écart entre populaire et référentiel. La façon dont ses huit épisodes persistent dans la pure frousse force le respect et sonne comme un retentissant doigt d’honneur adressé aux producteurs français, persuadés qu’on « ne peut pas copier les américains ». Une des seules séries françaises modernes à insérer d’authentiques séquences de terreur dans sa narration a été produite par Netflix. Et toc. Qui eut cru que, même débarrassée de ses partisans indépendantistes, la Bretagne puisse faire autant flipper ? Tout fonctionne à cet égard, de la direction artistique, à la fois classique et efficace, à la mise en scène, se permettant des jeux visuels que beaucoup croyaient l'apanage de James Wan et ses disciples.

Opportuniste, Netflix  ? Au contraire. Droit dans ses bottes, le géant du streaming laisse ses auteurs diversifier leurs approches, au risque de provoquer des scories.

 

photoTrès mauvaise joueuse de cache-cache

 

DES LITRES DE SANG NEUF

On se souvient que pour sa première grosse production française, Netfix était allé chercher des têtes d'affiche. Scénarisée par Marseille avait fait l'évènement, tant pour ses ambitions... que les travers de certaines productions françaises régulièrement décriées. Une leçon manifestement retenue par la plateforme, qui annula le tout après deux saisons, et opéra un changement radical de stratégie. Pour aborder son fond de catalogue, à savoir la série B, l'horreur et le fantastique, pas question de faire appel à des auteurs installés.

Pourtant, la flippe franchouillarde ne manque pas d'ambassadeurs. D'Julien Maury, l'hexagone ne manque pas de metteurs en scène rompus à la fiction énervée. Mais le géant de la SVoD va mettre en chantier une collection de séries dont les créateurs, sans toujours être inconnus, sont synonymes de sang neuf. Le public de Netflix est jeune, comme en témoigne l'appétit de la firme pour les fictions adolescentes, décidant de miser sur des voix nouvelles.

 

photoMortel et innovant ?

 

Marianne illustre bien cette stratégie. critique).

Une équation renouvelée avec Skam , mais il est loin d'être un cador de la création hexagonale. Avec cette production Netflix, les tons, les genres et les ADN se mélangent dans un joyeux chaos, encore énergisé par un budget modeste, poussant sans cesse à la démerde. Les fictions qui s'immergent dans les quartiers populaires urbains ne sont pas légion, encore moins quand elles font er les mésaventures de jeunes héros avant un discours social. Ici, Garcia pousse d'autant plus les potards qu'il navigue entre horreur, quête initiatique, super héros et vaudou. Son casting se veut également un pur vivier de jeunes talents, pas tous égaux, mais motivés par une électricité palpable.

 

photoNouveaux visages, sauce traditionnelle

 

Enfin, Kate Moran sont loin d'être des outsiders, mais l'amour que leur porte le cinéma d'auteur international rend leur présence dans un show vampirique grand public et tourné vers un public jeune particulièrement excitante.

Ainsi, de show en show, c'est bien une vague nouvelle qui se lève pour déferler sur les écrans.

 

photoTwilight, mais version caps et bière tiède !

 

UNE HÉMORRAGIE DE FAIBLESSES

Forcément, qui dit nouveaux talents, dit approximations, et les trois séries évoquées ici n’en manquent pas. D’ailleurs, si Marianne s’en sort plutôt pas mal dans la presse, ses deux successeurs n’ont pas été encensés par la critique, même si personne n’a jamais crié au scandale. Ecran Large lui-même, représenté par l’auteur de ces lignes, n’a pas été tendre avec les deux dernières productions, n’en déplaise à la page « critiques presses » d’Allociné, ayant rajouté sans pression une étoile à notre critique de Mortel.

Malgré une sympathie évidente pour de telles propositions, la presse et le public (Vampires n’est qu’à 5,3/10 sur SensCritique) se sont vus forcés d’ettre que les deux œuvres partagent beaucoup de défauts. A commencer par un traitement concret du fantastique parfois plus que maladroit, incapable de trancher entre une approche réaliste faisant pourtant tout le sel de la chose et une approche plus esthétique pas franchement compatible avec les ambitions financières et artistiques visibles à l’écran.

 

photoLe vaudou = des yeux lasers dans les toilettes

 

La première partie de ce dossier n’hésitait pas à comparer thématiquement Zombi Child à Mortel, toutes proportions gardées. C’est justement cette histoire de proportions qui symbolise le problème intrinsèque de ces productions et la raison pour laquelle elles n’ont pas réussi à freiner le désamour du grand public français envers le genre. Là ou l’essai de Bonello, qu’on l’apprécie ou pas, avait le mérite d’enfin traiter du vaudou avec un réalisme capable de rendre justice au mythe, la série, s’appuyant pourtant sur le même moteur scénaristique, hésite, freine des 4 pieds et préfère finalement donner à son esprit malin le look d’un Ryuk LeaderPrice.

Incapables de complètement lâcher prise, les trois séries pâtissent de fait d’un manque d’identité qui empêche par exemple Marianne de se hisser au dessus de la tentative d’épouvante « à la française », Mortel de réellement s’assumer en tant que récit d’émancipation adolescente et Vampires d’embrasser concrètement ses thématiques sociales étonnamment originales. De fait, la technique, forcément en deçà des concurrents internationaux présents sur la plateforme, n’est au service d’aucun vrai point de vue et on finit par ne remarquer qu’elle.

 

Stranger Things

 

Encore une fois, Marianne, dont l’ambiance constitue une forme d’attractivité, s’en sort bien mieux que Mortel et surtout Vampires. Il faut voir la séquence qui introduit le personnage d’Irina, où la créature s’adonne à une partie de jambes en l’air sanglante dans un abattoir, avant de se transformer en protagoniste on ne peut plus banal, instrument narratif classique. De quoi traduire un besoin obsessionnel de s’inscrire dans un carcan mythologique précis (pourquoi autant se forcer à préserver l’aspect érotique du vampirisme ?), comme s’il n’était pas possible de se contenter de notes d’intentions pourtant sincères.

Authentiques erreurs de traitement ou présence d’un cahier des charges trop envahissant ? Difficile de ne pas reprocher à Netflix la régularité assez louche des défauts soulevés, et des thèmes que la firme ne semble pas se lasser d’exploiter, en tête desquels cette inévitable ion pour le genre du teen movie. Une ion infectant parfois pour le meilleur (Mortel) ou pour le pire (les flashbacks de Marianne, Vampires) les séries en question, tel le coronavirus dans les foyers français. Enfin permettre à des auteurs français de s’exprimer grâce au fantastique ? C’est bien. Ne pas les forcer à viser un public-cible ? C’est mieux.

 

Photo Aliocha Schneider, Oulaya AmamraSuck me, I'm famous

 

FRENCH MALÉDICTION OU FRENCH FRAYEUR ?

Avec Marianne annulée, Vampires accueillie fraîchement, seule Mortel et sa saison 2 a encore des couleurs, quand bien même une partie du public est resté plutôt décontenancé par cette proposition singulière. Pour un peu, on serait presque tenté de voir dans cette situation une malédiction, qui ne date pas d'aujourd'hui, et mutile cinéma et séries de genres français. Victimes d'énormes à priori, les commentaires hostiles publiés sur ce site et d'autres, avant même la sortie des oeuvres ci-dessus en témoigne assez vigoureusement, ces séries font face à un public souvent sceptique, et à une réception internationale peut-être pas aussi évidente qu'on pourrait le croire.

En effet, si le genre venu de nos contrées est très prisé, ce n'est pas son versant grand public. Devenu progressivement un film culte aux USA, Martyrs représente assez bien la vision que les anglo-saxons portent sur les films et séries de nos latitudes : extrême et radicaux (la vague de longs-métrages horrifiques du début des années 2000 fut d'ailleurs surnommée aux Etats-Unis "New French Extremity"). Et donc, peut-être pas toujours attendus comme des divertissements grand-public. Reste à savoir si cette batterie de nouveaux formats permettra de semer, chez les spectateurs et au sein du paysage audiovisuel français de nouvelles germes, ou restera lettre morte.

 

Photo Estelle Lefebure, Samuel Le BihanA quand de la viande qualité ?

 

Car l'histoire du genre hexagonal compte dans les dernières décennies au moins un grand rendez-vous manqué. En 2006, le producteur Manuel Alduy officie chez Canal+ et à la lecture du scénario de Calvaire ont marqué des milliers de cinéphages, mais les métrages peinent à trouver leur public, et sont aujourd'hui encore pour beaucoup d'entre eux condamnés à rester des produits de niche.

Avec trois séries abondamment marketées et sorties en grande pompe, Netflix est au milieu du guet. La volonté et l'énergie semblent là, mais pour combien de temps ? Contraint par des accords renforcés et renouvelés avec les autorités françaises à investir de plus en plus dans la production locale, on peut raisonnablement penser que la plateforme n'abandonnera pas une formule qui conserve un fort potentiel international (si la pouvait générer son propre Stranger Things, la firme serait aux anges), mais si ces tentatives ne veulent pas rester lettre morte, peut-être le géant du streaming doit-il modifier un peu sa culture du coup fumant.

 

photo, Béatrice DalleA l'intérieur de la nouvelle vague de l'horreur ?

 

Car ce qui manque peut-être le plus cruellement aux séries de genre hexagonales, c'est l'héritage d'un savoir-faire. Quand science-fiction, fantastique ou horreur demeurent des exceptions, trouver des artistes ou techniciens rompus à leurs codes devient difficile, voire impossible. C'est pourquoi il faudra possiblement reconduire les équipes, et pousser des auteurs à repartir au charbon, fourbir leurs armes, se perfectionner. Et pour qui a découvert les séquences de flippe de Marianne, comment ne pas espérer que Samuel Bodin revienne bientôt, plus accompli et plus fort ?

 

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2 Commentaires
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Blow
Blow
il y a 5 années

C es tellement nul les séries françaises rien d étonnant

Mad
Mad
il y a 5 années

Marianne c’était quand même vraiment pas mal ! Dommage de l’avoir annulé. Ca avait la qualité d’acting de Zone Blanche (avec la géniale Tiphaine Daviot), on comprenait bien les acteurs français dans leur diction (chose tellement rare…) et l’univers était soigné et très plaisant. Une sorte de Alan Wake revisité avec pas mal de folklore. Une saison 2 aurait été bienvenue.

Les deux autres j’ai pas vu mais avec les trailers ça a l’air de puer le caca.