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The Studio : critique du pire de Hollywood dans la meilleure des comédies, sur Apple TV+

Par Geoffrey Crété
8 juin 2025
MAJ : 9 juin 2025

C’est la série incontournable des cinéphiles en 2025 : Kathryn Hahn, est un petit délice.

© Apple TV+

ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD

Pour toute personne qui s’intéresse de très près ou de pas trop loin au quotidien de Hollywood, The Studio est un pur délice. Normal : les créateurs Seth Rogen, Evan Goldberg, Peter Huyck, Alex Gregory et Frida Perez ont tout fait pour que ce soit le cas en survolant à peu près tout ce qui fait le sel de cette industrie.

Comment un studio se retrouve à lancer un film Monopoly ou Barbie ? Comment jonglent-ils entre le politiquement et le financièrement correct ? Comment les vieux studios encaissent la toute-puissance des compagnies comme Amazon et Netflix ? Ont-ils peur des artistes et des journalistes ? Les décisionnaires préfèrent-ils prendre des rails de coke et de kétamine avant ou après une grosse journée ?

The Studio balaye tout ça dans une première saison découpée en dix épisodes moqueurs et malins, qui jouent avec le réel qu’ils tournent en dérision. La preuve la plus évidente et aguicheuse : les apparitions de célébrités dans leur propre rôle, qui vont du mini clin d’œil mordant (Zack Snyder qui blague sur son interminable Snyder Cut, Charlize Theron qui jette de chez elle les personnages) aux vrais rôles succulents (Martin Scorsese qui pleure, Zoe Kravitz qui brille des Golden Globes jusqu’au Cinema-Con).

Et c’est d’autant plus réjouissant que certains se jouent de la « réalité » avec un plaisir évident. Ron Howard brise son image de labrador hollywoodien tandis qu’Olivia Wilde remet en scène quelques unes des rumeurs autour de son film Don’t Worry Darling. Quant à Ted Sarandos, le boss de Netflix, il vient afficher son plus beau sourire de chacal pour expliquer comment faire obéir les stars en douceur.

Ecran Large un jour sur deux

CINEMA PARADISORDER

C’est la première qualité de la série : elle s’apprécie avec une facilité déconcertante grâce à des épisodes d’une vingtaine de minutes (sauf le premier, plus long) parfaitement calibrés, et aux enjeux sont ultra-clairs. Ça part d’une situation simple (il faut que retrouver une bobine perdue sur le tournage d’Olivia Wilde avec Zac Efron, il faut que Ron Howard revoie le montage de son film interminable, il faut trouver le casting parfait d’un nouveau blockbuster familial à la la mords-moi le nœud…) et ça se complique à vitesse record (Matt Remick et/son son équipe sont trop lâches, trop peureux, trop indécis…). Niveau écriture, c’est un petit modèle d’efficacité.

C’est une version de la loi de Murphy : ce qui peut mal se er va très mal se er, de préférence au moment parfait pour humilier Matt Remick, merveilleusement joué par Seth Rogen. Du sixième sens de Scorsese qui comprend s’être fait rouler au désastre du Comic-Con avec l’IA, en ant par tous les faux pas possibles et imaginables sur le tournage de Sarah Polley, The Studio n’y va pas de main morte pour enchaîner les coups de marteaux et enfoncer ce magnifique loser.

the studio seth rogen
Il manquait une blague sur Solo : A Star Wars Story quand même

Et si la série est aussi réjouissante, c’est aussi grâce à sa caméra virevoltante, qui donne l’impression de monter à bord d’un train en marche à chaque fois. Les plans-séquences ressemblent d’abord à un effet d’esbroufe et le sont peut-être parfois pour Evan Goldberg et Seth Rogen, réalisateurs des dix épisodes. Mais ils accomplissent surtout quelque chose : donner l’impression d’être une petite souris qui observe ce cirque dans le coin d’une pièce, ou plutôt qui s’accroche à ces clowns pour les suivre dans leurs aventures rocambolesques.

En minimisant les ellipses pour garder les vides, les gesticulations et les hésitations de ces gens, The Studio parvient à créer la parfaite illusion. Et elle doit beaucoup au quatuor autour de Seth Rogen : Catherine O’Hara parfaite en productrice mi-sage mi-amère, Ike Barinholtz en bras droit un peu gauche, Chase Sui Wonders en assistante qui cache bien son jeu, et Kathryn Hahn en cheffe marketing évidemment déglinguée. Ils avancent tous à des cadences différentes (la mitraillette Kathryn Hahn et la force tranquille Catherine O’Hara), mais forment une irrésistible harmonie du chaos.

Zoë Kra-vite en montée

CINÉPHILE UN MAUVAIS COTON

Mais la mécanique de The Studio s’enrayerait vite s’il n’y avait que ça. Parce que les « stars » qui brossent leur image de marque en tournant avec leurs potes, les parodies de Hollywood par les gens au sommet de Hollywood et les sketchs à base de « tout le monde est défoncé et a envie de vomir » (Seth Rogen et Evan Goldberg oblige), c’est pas loin du degré zéro de l’imagination.

C’est là que The Studio surprend, avec son petit cœur d’artichaut incarné par Matt Remick. Le premier épisode dessine merveilleusement bien ce personnage écartelé entre son âme de cinéphile et ses entrailles d’homme d’affaires. Filer 200 millions de dollars à Martin Scorsese pour son prochain film, ou à un yes man pour faire un film adapté de Kool-Aid (si vous ne connaissez pas ce soda, imaginez un film Orangina) ? Tiraillé entre ce qu’il aimerait être et ce qu’il doit devenir, il creuse sa propre tombe choix après choix, ou plutôt non-choix après non-choix.

No Pain no Rogen

Ce personnage de loser attendrissant apparaît alors comme le cousin du Michael Scott de The Office et de la Valerie Cherish de The Comeback. À courir désespérément après l’amour de tout le monde, il récolte souvent le mépris de ceux qui comptent à ses yeux, pour les mauvaises raisons. Et c’est en donnant une dimension désespérément touchante à ce pauvre riche type que The Studio transforme le rire en émotion.

L’excellent sixième épisode écrit par Alex Gregory est probablement l’un des plus joliment amers, en plus de marquer un tournant dans la saison. Comme son titre L’oncologue pédiatrique l’indique, ce chapitre met le cinéma en arrière-plan le temps d’une soirée où Seth Rogen sort de sa bulle pour suivre sa petite amie. Et comme Rebecca Hall ne joue pas son propre rôle, le public de la série doit lui aussi lutter contre ses instincts de cinéphile.

En opposant les extrêmes (une soirée caritative mondaine pour sauver les enfants du cancer, et les urgences marketing de la bande-annonce d’un film de zombie scato), l’épisode tire sur les plus grosses cordes pour survoler le mépris (de classe) et raconter l’essentiel : la cinéphilie. C’est-à-dire l’amour pur, bête et parfois aveugle du cinéma, qui ne connaît justement pas de mépris (de genre).

the studio rebecca hall seth rogen
Hall or nothing

C’est cette candeur qui illumine peu à peu la première saison de The Studio pour en révéler ses vraies couleurs. Au milieu des situations ubuesques (le numéro final de Bryan Cranston à Las Vegas) et des répliques formidables (« C’est dégoûtant, et pourtant j’ai pris des traces sur les toilettes de Kevin Spacey », « J’ai l’impression d’être sous cocaïne, donc je vais prendre un peu de cocaïne »), le rire gras se mélange alors à une douceur inattendue. Et c’est ça qui rend la comédie si réussie.

Quand The Studio se termine avec une salle entière qui répète « Movies ! Movies ! » comme une armée de moutons délirante, c’est bien sûr le clou du spectacle grotesque de ce Hollywood qui finit par littéralement mettre en scène sa dégénérescence devant un public qui n’y voit que du feu, même face à un patron de studio affiché comme un pantin sous champis. Mais c’est aussi l’ultime profession de foi de la série. La seule chose qui compte et nous lie au-delà de la bêtise, de l’incompétence, des névroses et des mensonges, c’est ça : le cinéma. Et tant pis si c’est un délire collectif.

L’intégralité de la saison 1 de The Studio est disponible sur Apple TV+

The Studio
Rédacteurs :
Résumé

The Studio est drôle, voire très drôle, grâce à une écriture redoutable, un rythme survolté et un casting formidable. Mais c’est aussi et surtout très malin dans la peinture d’un Hollywood en pleine déliquescence où s’accrochent les derniers cinéphiles, aussi ridicules, naïfs et attendrissants qu’ils soient (comme tous les cinéphiles ?).

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    The Studio est une comédie hilarante sur le système Hollywood sublimée par la mise en scène en plans-séquences type Birdman rythmés par une batterie entraînante. Mordant, grotesque, délirant, savoureux et même introspectif. L'une des meilleures séries de 2025.

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Chili Palmer
Chili Palmer
il y a 18 heures

Cette serie m’a beaucoup rappeler Entourage, les stars n’ont pas peur de l’auto derision et ça fait plaisir enfin. Etant un fan de Seth Rogen il manquait à l’industrie depuiis qu’il s’etait mis dans le commerce de la fumette. Au moins ils y sont pas allé de main morte, certains episodes vont vraiment loin.

C’est bon le Kool Aid au fait ?

krakenstein
krakenstein
il y a 1 jour

Cette série tombe tellement de nulle part (avant que je voie la vignette sur MyCanal à sa sortie, j’en avais JAMAIS entendu parler) et j’en ai dévoré chaque épisode et à chaque épisode, c’était barres de rires sur barres de rires
Et imaginez ma surprise quand (Par PUR HASARD) j’avais appris qu’elle serait renouvelée !

romainpardon
romainpardon
il y a 1 jour

Tellement exceptionnelle qu’elle aurait pu me faire chialer alors que c’est une comédie.
Parfaitement jouer, la référence à Entourages ça m’a tué quand on voit ce qu’est cette série !
J’adore l’esthétisme, j’adore Seth Rogen (au-dessus de ce qu’on pourrait imaginer) j’adore l’immersion, les plan séquences, les seconds rôles…putain rien que d’y penser, j’ai envie de pleurer, c’est con.

Pour moi c’est une pépite d’une quali qu’on ne voit quasiment jamais.
Et je suis d’accord, l’épisode 6 avec c’est moment de gêne énorme, son ego à la con, les zombies diarrhées…

Je m’en suis pas remis. Et puis Bryan Cranston.

Unique et merveilleux.

Woking Dead
Woking Dead
il y a 2 jours

Cette série est un bijou d’écriture et de mise en scene. Chaque épisode est un petit chef d’oeuvre. C’est enlevé, intelligent, drôle, remarquablement interprété et réalisé. Et une mention spéciale a tous les cameos (Scorsese, Ron Howard, Dave Franco, Zoe Kravitz…) qui sont juste hilarants.

Sanchez
Sanchez
il y a 2 jours

Déjà culte . Une bombe . À part l’épisode casting vraiment pas ouf mais y’a des chef d’œuvres

scarface666
scarface666
Abonné
il y a 2 jours

La mise en scène, à savoir plan séquence en série, musique en percussion et cette caméra qui a l’air de se balader au milieu d’un petit chaos continu, m’a beaucoup fait penser à Birdman.

christophelaverne1
christophelaverne1
il y a 2 jours

Une jolie surprise ! À la fois délirant et touchant. Quelle réalisation aussi !

Clement
Clement
il y a 2 jours

Une série absolument géniale 🥰 Vivement la saison 2 !