L’Antre de la folie américaine
Y a-t-il meilleur témoin de l’histoire des USA que ces films (ou séries) qui apparaissent ponctuellement pour faire à chaque fois ce même constat : « quel pays de dingues, quand même. » Que ce soit pour l’assassinat de JFK, la guerre froide, le 11 septembre, l’invasion de l’Irak et on en e, les États-Unis ont submergé l’imaginaire collectif de par sa nature imprévisible. Le chaos de sa politique et le mystère de ses ambitions (qui a donné naissance aux théories du complot) ont fait de cette nation un empire kafkaïen idéal pour la fiction dystopique et anxiogène.
Les renversements de valeur, les contre-vérités, les délires médiatiques : tout y semble plausible. C’est pour cette raison que le genre du récit paranoïaque a toujours été prolifique aux USA (À cause d’un assassinat, JFK, Invasion Los Angeles). Une paranoïa souvent justifiée chez un héros qui se retrouve seul contre tous. Lui qui est victime ou spectateur d’une conspiration à grande échelle. Tout le monde le dira fou. La justice le traquera pour le stopper. Pourtant, ce samaritain sain d’esprit cherchera à démontrer que la folie est ailleurs. Et c’est justement ce que raconte The Madness. Une nouvelle tentative pour la fiction de constater la confusion américaine, à la mode de 2024.
Quand The Madness démarre, on a davantage l’impression d’être dans Alan Wake que dans un polar classique. Ce n’est pas un défaut, au contraire. Le mystère parvient à s’installer très vite et dès le premier épisode, avant même que quelque chose de bizarre ne se produise. Car en effet, le cadre qu’on nous pose est assez louche. Muncie Daniels (Colman Domingo), journaliste en disgrâce, se réfugie dans une cabane isolée de la Pennsylvanie pour écrire son livre.
À peine arrive-t-il que sa première interaction avec son unique voisin respire le malaise. Muncie est une célébrité afro-américaine et la série réussie facilement à nous faire ressentir la pesanteur des regards sur lui, surtout lorsque l’hostilité grimpe. Comme dans un film de Jordan Peele, le racisme apparaît comme particulièrement terrifiant quand il est dans l’air. Il semble alors polymorphique et capable de surgir de n’importe où sans prévenir. C’est exactement ce qui se produit au moment où Muncie découvre le cadavre de son voisin, que la police va ensuite identifier comme celui-ci d’un suprémaciste blanc très connu. Tout désigne alors le journaliste comme suspect numéro 1, pour des motifs absurdes.

It’s a mad world
La meilleure idée de The Madness c’est son point de départ. Le suspens des premiers épisodes est très tangible, car, au-delà des péripéties qu’il amène (on a du complot, des scènes de poursuite, des interrogatoires… tout ce à quoi on peut s’attendre) il reste connecté à un commentaire politique qui touche au concret. À l’ère de la post-vérité où les faits sont aussi malléables que les opinions, la série aborde dans un premier temps l’inversion des rapports de force, au bénéfice d’un racisme systémique qui semble impossible à battre.
Même en étant une personnalité aisée et influente, Muncie est immédiatement donné perdant face à des accusations en apparence très grossières. Et même en étant un individu dépolitisé, le fait qu’il soit afro-américain le politise d’office aux yeux de tous. Il est considéré comme un activiste malgré lui, et capable d’un meurtre sous prétexte que la victime était un suprémaciste. Une fausse vérité qui correspond à un imaginaire médiatique déjà préconstruit. Muncie, la mort aux trousses, décide ainsi de jouer en solo et de défier les autorités pour trouver la vérité lui-même. Un classique. Mais dans ce contexte, c’est bien assez pour qu’on ait envie de le suivre jusqu’au bout de ces 8 épisodes.

Dans la suite de l’histoire, The Madness parvient un peu moins à surprendre dans son écriture, mais reste très efficace dans sa formule de thriller paranoïaque moderne. Le genre sert aussi à divertir après tout et la série le fait bien. Son scénario est dense et a le bon goût de ne pas trop tourner en rond, en se resserrant sur deux intrigues principales (une du point de Muncie et sa famille et l’autre du côté d’un personnage secondaire assez réussi) qui avancent à bonne allure sans s’éparpiller.
Le rythme de l’action est soutenu et on se plaît à voir Muncie affronter des tueurs à gages à un moment, pour ensuite lutter sur le plan médiatique et judiciaire plus tard. On alterne ainsi régulièrement entre Le Fugitif et Gone Girl (deux excellentes références, du coup), sans qu’un ton ne nuise à l’autre. Bien au contraire. Tout ça renvoie au propos central de The Madness qui sera le choix des armes (entre la violence ou l’influence) dans le combat politique. Une réflexion que la série aura la bonne idée de ne pas totalement trancher au final et qu’elle met en scène dans différentes situations concrètes tout au long du récit.

Netflix oblige
Dans plusieurs scènes, le revolver sera opposé au téléphone et aux réseaux sociaux pour symboliser deux méthodes d’action. Dans un cas, la menace brutale triomphera et parfois ce sera le pouvoir des images qui l’emportera. La série poussera cette réflexion sur l’engagement politique jusque dans sa conclusion (rappelant vaguement celle du récent The Killer de David Fincher) où la question de l’action violente légitime sera posée à nouveau. Bref, tout ça est franchement intéressant, mais restera limité par un manque d’audace globale. Les sujets les plus complexes de The Madness seront malheureusement, au fur et à mesure de la série, dilués dans une narration trop sage (la signature Netflix).
Là où les premiers épisodes, eux, promettaient d’analyser la montée des nouveaux mouvements suprémacistes et leurs connexions avec la sphère politique, les influenceurs et les réseaux sociaux, The Madness se détournera progressivement de ça pour se consacrer à des enjeux plus hollywoodiens. On retrouvera ainsi le bon vieux complot impliquant des mégacorporations maléfiques et des types riches qui ont le complexe de dieu comme grands méchants. On leur opposera le sympathique père de famille américain qui devra, au milieu de tout ce boxon, tenter de reconnecter avec ses enfants, son ex-femme et sa communauté. Et on l’aura cette happy end cousue de fils blancs.

C’est bien dommage, car cela minimise fortement le cynisme de la série qui aurait dû être la boussole du récit, pour nous donner une conclusion bien plus désespérée. Malgré ce regret, il reste Colman Domingo qui, dans son rôle de Muncie Daniels, porte avec succès la série sur ses épaules. C’est très amusant de le voir se la jouer Idris Elba dans Luther (sans en égaler le charisme, il faut bien l’ettre) et se faire vraiment plaisir en héros d’action tourmenté.
L’autre atout de The Madness, c’est Tamsin Topolski, alias Lucie Snipes, la veuve du suprémaciste assassiné. Elle brille particulièrement en mère parano, forcée de renouer avec son ancien clan de fascistes pour obtenir quelques réponses. Une intrigue qu’on aurait aimé voir davantage (à la place des histoires de famille), tant la série lui doit ses meilleures scènes dont celle où l’un des vieux amis de Lucie (qui est alors en immersion chez les militants racistes de son quartier) lui exprime son deuil d’une manière aussi touchante que flippante.
The Madness est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 28 novembre 2024 en .

ça commence bien, puis après, typiquement américain avec de très, trop nombreux entretiens entre le héro et sont ex qui n’est toujours pas ex qui part mais revient toujours ….intrigue très prenante au début et puis qui s’effiloche en 8 épisodes là ou 5 auraient suffit ;ça se regarde mais peut mieux faire….!
Un homme aussi charismatique, noir aux USA de surcroit, peut-il vraiment être un journaliste star de la télé ? Dans the Newsroom le protagoniste principal, bien qu’impressionnant, est moins charismatique, semble attaché à tout un tas de conformismes rien que dans son attitude, et sa volonté de prendre du recul pose vite problème. Surtout, the Newsroom fait un portrait de la profession et veut absolument la valoriser, ce qui nécessite du temps et beaucoup d’efforts pour rendre la chose crédible. Là, la série qu’on voudrait voir, c’est le parcours d’un gars comme ça qui n’a pas l’idée de faire un autre boulot.
Très bon cru Netflix !
L’ambiance de paranoïa pesante et les accents Hitchcockien font énormément penser à :
« La mort aux trousses »
…en version Afro et format minisérie. Ce qui peut prêter à sourire mais en réalité c’est plutôt bien réussi et actuel dans les thématiques et les mécanismes. Je vois ça comme un bel hommage au film culte de sir Alfred.
PS : non Coleman Domingo n’est pas le Idris Elba du pauvre. Il a de la profondeur et un charisme différent
Mince alors, j’ai cru que c’était Idris Elba sur l’affiche ! Ouf la ressemblance