Pour les fêtes de Noël, la plupart des éditeurs de manga font d'excellents coffrets qui pourraient faire de très bons cadeaux. Du coup, il est pas mal de s'attarder sur des mangas qu'on oserait pas trop offrir, tout simplement parce qu'on ne savait pas qu'ils existaient, ou alors parce qu'ils ne sont pas mis en avant. Pour la sélection de Noël, on a choisi trois titres qui pourraient garnir votre cargaison de cadeaux.
Deux mangas avec Père Fouettard Corporation (Kurokawa) et Blue Giant (Glénat) ; et un livre/artbook : Histoires de Fantômes du Japon (Métamorphose).
On peut se poser la question du pourquoi avoir mis ces titres dans la petite liste de Noël. C'est tout simplement que ces trois titres permettent d'avoir un peu de recul sur la magie de Noël, d'avoir des émotions fortes et aussi de planer au fil de la lecture et des pages. Trois lectures différentes et qui apportent pendant ces "vacances" - pour ceux qui en ont - un peu de rêve et de magie.
Contemplation rêveuse par Benjamin Lacombe
PÈRE FOUETTARD CORPORATION : UN NOËL AU CHARBON
Quand on dit Noël, on pense directement au personnage sympathique créé par une célèbre marque de boisson gazeuse, habillé de rouge et qui distribue des cadeaux aux gentils enfants : le Père Noël.
Mais on ne pense pas souvent à son alter ego, qui châtie les vilains enfants : le Père Fouettard. Comme son titre l'indique, la nouvelle oeuvre d'Hikaru Nakamura, l'autrice à succès de Les vacances de Jésus et Bouddha (Kurokawa), revient sur la légende qui a fait suer le plus d'enfants au monde en cette période.
Dans Père Fouettard Corporation, on suit les aventures mouvementées du jeune Miharu Hino, 22 ans, qui ne fait qu'enchainer les CDD dans une superette du coin et qui se fait avoir par son collègue et son patron. C'est la bonne poire en somme. Après avoir fait juste une fois une bêtise, le jour de Noël, il se trouve happé par le Père fouettard et se retrouve contre son gré au Pôle Nord dans l'usine du Père Nöel. Il va y découvrir que derrière le beau décor se trouve une multinationale aux méthodes peu reluisantes.
Bienvenue dans l'étrange Nöel de Monsieur Jack... pardon... de Père Fouettard Corporation.
L'énigmatique Père Fouettard en question
Hikaru Nakamura délivre dans ce manga un conte étrange et surprenant. Tout en gardant l'attention du lecteur dès les premières pages, elle arrive comme à son habitude à surprendre le lecteur avec facétie et contre-pied. Elle dispose par petits bouts son intrigue au fur et à mesure que les pages avancent. Tout en y imprimant sa patte d'absurdité et de fantasque.
Comme nous, le héros va de surprise en surprise dans cette étrange entreprise, où tout ce qu'il s'y e est totalement normal. Les vauriens projetés dans cet univers deviennent des travailleurs chevronnés utilisant leur qualité et leur défaut pour racheter leur dette morale. C'est une sorte de bagne amélioré. On y voit qu'à travers le vaurien se cache souvent quelqu'un d'incompris et c'est ce que met en exergue ce manga.
Chacun des trois tomes sortis à ce jour met vraiment en avant les personnages qu'accompagne Miharu, même si celui-ci se retrouve balloté à gauche et à droite, tant les évènements qui l'entourent le perturbent, tout comme nous, les lecteurs. On pourrait s'attendre à une simple fable enfantine et bon enfant, mais justement, en prenant le contre point d'avoir le Père Fouettard comme "Mentor" du manga, c'est toute notre vision de Noël qui se trouve transformé. Ça en devient une nouvelle découverte.
Ce qui est aussi intéressant c'est que l'auteur arrive à mettre en image aussi tous les rites autour de Noël pour les tourner en dérision, le comique fonctionne, on pouffe de rire, on sourit, on s'esclaffe.
Bref, vous savez ce qui vous reste à faire : mettre les 3 premiers volumes sortis Père Fouettard Corporation sous le sapin, sinon vous pourrez er pour un ou une vaurien.ne et aller au bagne de Noël, c'est à vous de choisir.
Le tome 3 toujours aussi succulent
BLUE GIANT : LA MAITRISE ET LA BEAUTÉ DU MANGA MUSICAL
Ici, c'est une alerte chef d'oeuvre. Il n'est pas possible de er à côté de ce manga écrit par Shinichi Ishizuka, qui nous avait déjà surpris avec Vertical (Glénat). Son précédent manga traitait du secourisme en montagne, il a d'ailleurs été souvent recommandé dans les stations au Japon, pour prévenir des dangers, tant il était juste et précis.
L'auteur revient à un autre de ses amours, la musique et plus précisément : le jazz. Dans Blue Giant, tout est question de jazz et du pouvoir de la musique sur nous.
Revenons un peu en arrière avec l'histoire, de quoi Blue Giant parle-t-il ? Tout simplement du chemin de son jeune héros Dai Miyamoto, jeune lycéen (au début) voulant se consacrer à ce qui le fait le plus vibrer : faire du jazz avec son saxophone. Totalement autodidacte, travailleur acharné et avec son humeur toujours joyeuse, Dai montre tout simplement la voie que chacun pourrait prendre en se donnant les moyens : vivre de sa ion. Et on assiste à son envol dans le jazz à travers ce manga.
C'est beau non ?
La couverture génialissime du tome 1
Lauréat du prix Shogakukan en 2016, ce manga conquit le coeur et le corps. Au fur et à mesure des pages, Shinichi Ishizuka nous montre sa véritable ion pour le jazz, sous la houlette de son personnage touchant et attachant. Les pages nous font vibrer tant on ressent de l'émotion et de la ion. C'est assez indescriptible en vrai, il faut feuilleter et lire le manga pour le comprendre.
La justesse et la finesse des traits donnent une vraie claque à chaque lecteur. Par ses mouvements de vitesse, l'auteur arrive à nous faire vibrer et presque à entendre la musique qui décolle des pages. Les notes de musiques arrivent comme par enchantement autour de nous, on rentre dans le manga et on en ressort en en ayant plein les oreilles. C'est juste incroyable.
Les mouvements, le découpage, l'humour tout est concentré autour de la musique ce qui donne, parfois, un peu le tournis, comme lorsqu'on est dans un concert et qu'on se prend une rasade d'énergie. On est soufflé. Pourtant, il en existe des mangas musicaux, comme Nana (au début), K-on ou même le génialissime Beck qui est plus porté sur le rock, pour ne citer qu'eux. Mais Blue Giant va encore plus loin que Beck. Il est encore plus fou, plus ionné, c'est un film musical qui se dessine sous nos yeux et qui en devient presque réel. Les notes et l'intensité raisonnent en nous, dans notre coeur.
Shinichi Ishizuka arrive à nous dépeindre l'univers du jazz tout en étant le plus pédagogique possible, sur les huit volumes sortis (bientôt neuf). On apprend énormément de choses autant au niveau des artistes qui ont jalonné cette musique que sur les techniques liés au jazz.
Bref, pour les fêtes, il n'y a que huit tomes à acheter et à mettre sous le sapin. Il n'en restera plus que deux sur la série au total. Ce n’est pas trop long non plus.
Imaginez juste la scène : un petit Blue Giant sur un fond musical de Miles Davis, avec le cheminée qui crépite. Ce n’est pas si mal non ?
Cette intensité... On en a le souffle coupé
HISTOIRES DE FANTÔMES DU JAPON : UN LIVRE SUBLIME
On reste dans le beau et dans l'incroyable avec ce dernier livre, entre l'artbook et un livre collection Histoires de Fantômes du Japon de la collection Métamorphose dirigé par Barbara Canepa et Clotilde Vu, est une merveille de fabrication, de pagination et d'illustration.
Cet ouvrage est un recueil d'histoires sur les yokais (monstres folkloriques japonais) écrites par un écrivain irlandais - devenu japonais - du siècle dernier : Lafcadio Hearn.
On y retrouve le conte d'Urashima Taro, jeune pécheur qui après avoir secouru une tortue se retrouve plongé dans un havre de paix sous marin, mais sa condition d'homme le fait remonter à la surface et il y découvre que l'humain n'est pas totalement bon. Dans cette dualité, interviendra un destin tragique. Ce conte est l'un des plus vieux du Japon et l'un des plus étudiés aussi. Car ce choix humain entre être bien, mais dans le déni total ou accepter d'être humain avec ces défauts fait partie de notre culture intégrée et digérée.
D'autres contes sont aussi présents, comme celui de Yuki-ona (la femme de la neige), cette femme éternelle, magique, envoutante et surtout très belle qui "ensorcelle" les hommes. Tous ces contes folkloriques japonais sont parfaitement illustrés par Benjamin Lacombe. De quoi nous mettre une baffe graphique.
La couverture est non seulement belle, mais la fabrication du livre l'est tout autant !
Benjamin Lacombe nous montre encore une fois son amour pour le Japon, lui qui avait déjà travaillé sur une cover design de The Promised Neverland.
Dans ce livre, il développe encore plus son potentiel. Toutes ses illustrations font de parfaits échos aux contes écrits par Lafcadio Hearn. Elles sont précises, millimétrées, fournies et extrêmement généreuses. Comme de véritables oeuvres d'art, ces dessins accrochent dès le premier regard et apportent à la lecture un instant de contemplation actif. C'est-à-dire qu'on regarde le dessin et notre oeil va chercher les détails tout en restant subjugué par la totalité de la création.
Que ce soit sur des doubles pages, ou des petits monstres qui égayent les pages de lectures, ces illustrations nous donnent l'impression d'être suspendus hors du temps. Un temps que les Yokais (monstres/fantômes japonais) ont pour eux, mais qui nous est accessible grâce à ce livre, de par cette combinaison conte/dessin.
Histoires de Fantômes du Japon est un peu comme un plat qu'on déguste, on goute, on y prend du plaisir et quand on y retourne on savoure encore plus. Une fois que la dinde est finie, il est peut-être temps de se raconter de belles histoires.
Illustration du conte : Le gamin qui dessinait des chats par Benjamin Lacombe
Trois oeuvres totalement différentes, mais portant toutes le même message : continuons de rêver, laissons-nous porter par notre imagination et avançons dans la vraie vie autant que l'on peut, rien n'est jamais fermé.
Trois livres à mettre sous le sapin pour tous, trois livres à partager entre nous, trois créations à expérimenter ensemble. D'ailleurs, en y repensant c'est peut-être ça le vrai message de Noël : les vrais cadeaux, ça serait nous, non ?
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