Films

L’autre Civil War : la satire du papa de Gremlins devenue réalité

Par Captain Jim
16 mai 2024
MAJ : 17 mai 2024

La sortie de Civil War, le dernier film d'Alex Garland, est l'occasion idéale de revenir sur The Second Civil War, réalisé par Joe Dante. 

Dans son dernier long-métrage nommé Alex Garland imagine les États-(Dés)Unis déchirés par des conflits internes sanglants. Son approche, très spectaculaire, met en lumière le travail des reporters de guerre dans un affrontement volontairement flou. Garland a choisi de brouiller les pistes et d’éviter de créer trop de liens entre le réel et sa fiction.

Presque trente ans avant Alex Garland, un autre réalisateur avait réfléchi à l’éventualité d’une nouvelle guerre civile américaine, mais en mettant les pieds, les fesses et la tête dans le plat de la géopolitique contemporaine. En 1997, La Seconde Guerre de Sécession) pour la chaîne HBO, une satire qui – curieusement – fonctionne toujours aussi bien aujourd’hui.

Revoir cette fresque dystopique permet de comprendre comment une satire peut demeurer pertinente à une époque où la réalité dée aisément la fiction dans l’absurde, et met en lumière un élément clé du cinéma de Joe Dante : son obsession pour les écrans et les images qu’ils véhiculent

  • Notre vidéo sur le Civil War de Garland 

 

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Le cinéma, c’est de la politique 24 images par seconde

The Second Civil War est d’abord l’œuvre du romancier et scénariste canadien Martyn Burke, ce qui explique rapidement son côté politiquement rentre-dedans. En dehors de ses incursions dans la fiction, comme ici pour le célèbre diffuseur HBO, il est réputé dans le milieu du documentaire pour ses travaux sur le journalisme de guerre ; il a d’ailleurs commencé par une carrière de reporter et photographe durant le conflit au Vietnam. C’est son expérience du réel qui lui donne l’envie et les idées pour imaginer la possibilité d’un nouveau conflit interne sur le territoire étasunien.

The Second Civil War se e dans un futur proche dans lequel les États-Unis se déchirent, sa population étant incapable de concilier ses nouvelles réalités démographiques en une identité solide. Dans ce contexte tendu et absurde, une bombe nucléaire est lâchée par l’Inde sur le Pakistan et une ONG décide d’emmener des enfants réfugiés jusque dans l’Idaho. Seulement voilà, le gouverneur de l’État n’en peut plus d’accueillir la misère du monde, et il décide de fermer ses frontières contre l’avis du gouvernement fédéral.

 

La Seconde Guerre de Sécession : Beau Bridges "Oui là-bas, le journaliste d'Écran Large ?" 

 

Et comme le président des USA est un imbécile conseillé par un lobbyiste tout aussi crétin, et que Newsnet, la chaîne de télévision la plus regardée dans le pays, est prête à tout pour exploser ses chiffres, tout ça ne peut pas se régler par une poignée de main et une bise.

« C’était davantage une fiction à l’époque qu’aujourd’hui », a dit récemment Joe Dante lors d’un festival où le téléfilm a été diffusé, et on ne peut qu’être d’accord avec lui. Le cinéaste, qui s’est retrouvé maître à bord sur le téléfilm pour remplacer Barry Sonnenfield, lequel a préféré quitté le navire pour réaliser Wag The Dog, a beau avoir produit ce qu’on peut décemment appeler une satire, aujourd’hui tout ou presque dans le récit sonne trop vrai.

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo La Guerre Civile des chapeaux moches

 

C’est particulièrement marquant dans le cas du personnage du président, joué impeccablement par le regretté James Coburn, impérial) qui invente des citations attribuées à Eisenhower ou Roosevelt pour donner l’impression de s’y connaître.

Plus tard, Joe Dante comparera en interview ce personnage à George W. Bush, puis à Donald Trump… Même si ce dernier est bien plus invraisemblable que n’importe quel personnage de fiction.

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo L'homme du Président 

 

Satire à balles réelles

Là où Joe Dante a eu du génie – consciemment ou non – c’est que son approche filmique sur The Second Civil War a aidé le film à mieux vieillir que d’autres satires de la même période, comme Wag The Dog mentionné plus haut. Parce qu’il fait le choix de tourner ses images avec sincérité, sans connivence aucune avec le spectateur, il évite le côté coup de coude dans les côtes m’as-tu-vu, la critique tapageuse bas du front qui nous hurle dans l’oreille « hé, t’as compris ? T’as vu hein ?! ».

Prenons un exemple. Au début du film, les journalistes de Newsnet se disputent au sujet de la crise des orphelins pakistanais. L’un d’eux, joué par l’exceptionnel Ron Perlman (le casting de ce film est un délice de bout en bout), annonce que le pays connaît sa pire famine depuis 150 ans tout en attrapant un donut sur un plateau de viennoiseries, et demande un verre de lait avec ça.

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo Quand on lit les commentaires des fachos sur le site d'Écran Large

 

À l’écriture c’est une séquence comique et grotesque, digne d’une comédie de Zucker, Zucker et Abrams (après tout Martyn Burke est aussi scénariste sur Top Secret!), mais dans sa mise en scène Dante refuse totalement la formule du gag et évite d’y mettre une chute.

C’est cette justesse qui permet au film de taper dans le mille, et tout particulièrement quand il s’agit de traiter de la cupidité et du manque d’humanité des médias. Lorsque le patron de la chaîne interdit à son reporter en vol avec les orphelins pakistanais de faire une escale pour vider la merde de l’avion (les toilettes sont en panne et il y a beaucoup d’enfants malades), Joe Dante n’insiste pas sur les excréments, mais sur le véritable fumier dans la situation. À savoir le patron qui refuse que l’avion soit retardé : s’il arrive en pleine nuit, ça ne sera pas bon pour les chiffres d’audience...

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo La prochaine fois j'emprunte son jet privé à Taylor Swift

 

Quand Joe Dante crève l’écran

Joe Dante a sacrifié plusieurs intrigues dans le long scénario de Martyn Burke pour arriver à un film de 1h30 environ, au profit des ages autour de la chaîne d’information Newsnet qui fonctionnent comme la colonne vertébrale du récit. Ce n’est pas un hasard : sa filmographie est très régulièrement parcourue d’une réflexion sur la présence du petit écran dans nos vies. Le réalisateur fait partie d’une génération qui a découvert le cinéma à travers la télévision.

Enfant, il était capable de reconnaître quand un décor ou des costumes étaient réutilisés d’une production à l’autre. Une fois devenu cinéaste, il met en scène l’objet télévisuel constamment et s’en sert pour commenter son œuvre et ce que le spectateur peut en percevoir. Avec l’enfant démiurge de La Quatrième Dimension, avec Guizmo qui se prend pour Rambo dans Gremlins 2, ou encore avec l’extraterrestre d’Explorers qui ne vit qu’à travers les séries des terriens, on est exactement dans cette dynamique.

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo Fun fact, le décor de la chaîne Newsnet est un Walgreens désaffecté

 

Dans The Second Civil War aussi le poste de télévision est omniprésent. Au point où l’ultimatum envoyé par le président au gouverneur de l’Idaho faisant sécession est raccourci de 72 heures à 67 heures et demie, pour éviter que le couperet ne tombe au moment de la diffusion d’un épisode de soap opera très attendu par les citoyens du pays. Mais c’est la présence de Newsnet qui permet à Joe Dante d’aller encore plus loin, puisqu’il peut cette fois s’intéresser à comment les images sont manufacturées pour la télévision, et dire de la façon la plus évidente qui soit : tout cadrage est, en soi, un mensonge

C’est ce qu’il faut comprendre d’une scène comme celle où Amelia Sims (Catherine Lloyd Burns), la leader de l’ONG qui prend en charge les orphelins pakistanais, engueule un journaliste pour avoir utilisé un grand-angle pour son reportage. Un objectif plus resserré aurait donné l’impression qu’ils sont plus nombreux… « Fuck reality, this is image ! » s’exclame-t-elle. Une approche malhonnête certes, mais là est tout le principe pour un cinéaste : il faut connaître le pouvoir de l’image et se l’apprivoiser. Chaque cadrage est une fiction.

 

La Seconde Guerre de Sécession : photo Pique Nique à Gettysburg 

 

Comme pour illustrer ça, la séquence qui annonce le début de la guerre civile montre des journalistes sur le terrain dans l’Idaho mater un John Wayne sur un poste de télévision posé dans un champ. L’un d’eux s’extasie devant les prouesses guerrières du héros américain, tandis que l’autre lui rappelle que c’est juste un acteur. L’instant d’après, un tank débarque et vient littéralement crever l’écran.

En quelques secondes et quelques plans, Joe Dante nous dit tout ce qu’il pense du cinéma : c’est une arme de propagande. Et le seul moyen de lui résister, c’est d’apprendre à l’analyser.

Oublié par beaucoup aujourd’hui, ce téléfilm de Joe Dante est pourtant une de ses dernières créations importantes, un an avant Small Soldiers, un autre brûlot politique très énervé contre le pays de l’Oncle Sam. Heureusement la sortie du Civil War d’Alex Garland permet par ricochet de redonner un peu de lumière à une œuvre singulière et essentielle… On ne va pas s’en plaindre.

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Euh
Euh
il y a 1 année

Tout ce que Civil War n’a pas réussi à faire. Même Elie Chouraqui et son Harrison’s flowers était plus intéressant et choc sur son traitement de la guerre civile

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 1 année

Un chef d’oeuvre de satire et malheureusement qui touchait assez justement tous les travers politiques de l’époque tout ayant une certaine lucidité des choses à venir. Un casting de malade et des rôles formidables notamment celui de Ron Perlman et surtout celui d’Elizabeth Pena en amante hispano-américaine « droite dans ses bottes » bien plus à l’écoute du people que le gouverneur interprété par Beau Bridges.
Bien plus de choses à dire et intéressantes que le très vide Civil War pour ma part.

Adam
Adam
il y a 1 année

je me rappelle de ce film. Je l’ai énormément aimé avec son président complètement aux fraises, incompétent et pas sure de lui.son propos fait énormément écho la crise migratoire de 2015 sauf que le gouverneur de l’Idaho paraît modéré par rapport à ce qui s’est dit il y a 8-9 ans…
Il convient de préciser que vous ne verrez aucune scène de guerre.