Librement adapté du premier roman de Neige sur Beverly Hills est une oeuvre clivante à bien égards, mais ionnante malgré tout.
Il n'y a rien de bien nouveau sous le soleil à ce sujet là : Hollywood nourrit une fascination profonde envers une jeunesse toujours plus débauchée. À ce titre, les partis-pris narratifs sont légion ; il est ainsi question de thématiques relatives au renégat de la société, aux conflits intergénérationnels, aux abus de substances en tout genre et autres joyeusetés symptomatiques d'une adolescence trop riche, trop blasée, trop noyée dans son propre spleen hormonal.
Alors forcément, lorsqu'un sale gosse a publié du haut de ses vingt-et-un printemps l'une des pierres angulaires du mouvement littéraire "Brack Pack", les studios se sont jetés dessus comme la misère sur le monde. C'est ainsi que le producteur Marvin Worth, officiant alors sous l'égide de feu la 20th Century Fox, s'est empressé d'acquérir les droits du fameux Moins que zéro pour la modique somme de 7500 dollars... et ce avant même que ledit bouquin ne soit commercialisé. S'ensuivit deux ans plus tard la diffusion sur grand écran de Neige sur Beverly Hills – une adaptation longtemps reniée par Ellis, certes –, lequel propose un anti-portrait du rêve américain associant vice et empathie.
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la cité des anges déchus
“Je ne veux pas de l'amour. Si je me mets à aimer des trucs, je sais que ça va être pire, que ça sera encore une chose qui me coûtera du souci. Tout est moins douloureux quand on n'aime pas." Ainsi peut se résumer l'oeuvre d'Ellis, dont l'apathie se veut le maître mot à mesure que les chapitres se succèdent. Une note d'intention plutôt cynique, on en conviendra, mais laquelle a largement participé au succès critique et commercial du roman à sa sortie en 1985.
Le récit s'articule donc autour de Clay, jeune universitaire aussi fortuné que désabusé. Sans chercher à le plaindre, mais sans franchement le condamner non plus, l'auteur décrit page après page le quotidien de ce préadulte indolent, plus soucieux d'entretenir son bronzage et sa cocaïnomanie que sa relation avec Blair, son ex-mais-pas-vraiment-ex petite amie. Aussi, le bougre appartient donc à cette catégorie magnétique de protagonistes un brin rébarbatifs, symboles d'une génération "suspendue au-dessus de l'abîme" ; celle qui ne croit plus au rêve américain auquel sa prédécesseure a été biberonnée, et erre désormais sans trop savoir comment tuer le temps.
Moins que zéro est donc à concevoir comme une oeuvre testament, écrite en vue de tendre un miroir maussade à ce bon vieil Oncle Sam. C'était bien entendu sans compter sur l'indéfectible tendance hollywoodienne à arrondir les angles à tout prix. Les amateurs du roman original en attesteront sans mal : Neige sur Beverly Hills est une vision résolument aseptisée de sa matrice. Que l'on s'entende, le film de Marek Kanievska ne prétend guère au titre de comédie dramatique, mais disons simplement que certains éléments clefs de l'ouvrage ont été gentiment révisés pour mieux coller aux idéaux sociopolitiques de Ronald Reagan. À commencer par Clay.
Incarné par Jami Gertz) avant de er le reste du film à tenter laborieusement de désintoxiquer Julian.
Devant pareil constat, le spectateur serait en droit d'interroger le bien-fondé de cette adaptation. Mais, et aussi paradoxal que ça puisse être, la note d'intention du film demeure relativement similaire à celle proposée par Ellis.
Oui, Clay s'est vu lessivé de tout ce qui faisait de lui... Clay. Hétérosexuel, sobre jusqu'au bout des ongles et prompt à sauver son prochain, le personnage est à des années-lumière d'incarner le désenchantement qui le qualifiait jusqu'à présent. Mais Los Angeles reste Los Angeles : simultanément glamour et désolante. Les abus qui y prennent place lui sont symptomatiques. Clay ne hante plus le récit, non. Alors la ville s'en charge pour lui.
les lumières de la vi(ll)e
Sans réellement sous-tendre la lassitude qui distinguait le roman, la proposition de Kanievska fait malgré tout état d'une jeunesse complexe en proie à des excès systémiques. En cela, la ville et par extension sa vie nocturne, sont à concevoir comme un personnage à part entière plutôt qu’une toile de fond. Que l'on aime ou non la révision scénaristique de Moins que zéro, il est indéniable qu'une attention toute particulière a été apportée à la mise en scène de Los Angeles.
La cheffe décoratrice Barbara Ling (laquelle a notamment remporté un Oscar pour son travail sur le Once Upon a time... in Hollywood de Tarantino) a ainsi pris grand soin de dépeindre la cité des anges comme un phare dans la nuit – ou plutôt, une série de réverbères contre lesquels s'amassent les insectes en quête d'éclat.
La lumière aveugle comme elle magnifie, et qui d'autre pour appuyer cette dichotomie qu'Edward Lachman, reconnu pour l'esthétisme de son objectif. Un coup d'oeil aux tons mélancolico-pastel de Virgin Suicides, aux flous artistiques de Carol, ou encore aux inspirations mélodramatiques de Loin du paradis (pour lequel il a lui aussi eu droit à sa statuette dorée) certifie amplement son génie visuel. Et si en 1987, aucun des susmentionnés titres n'avaient encore gracié les salles obscures, les crédits antérieurs du directeur photo suffisaient déjà à l'imposer comme l'homme de la situation.
Mais comme l'écrivait Baudelaire, "le beau est toujours bizarre". La qualité plastique de l'image inflige ainsi au spectateur un contraste intransigeant avec les actions du trio principal, ainsi que leur éventuelle descente aux enfers. La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt, mais Clay, Blair et Julian semblent ne jamais se coucher. Les séquences de soirées éclairées aux néons s'enchaînent au même rythme que les cocktails et les doses de poudre que Blair et Julian se collent généreusement dans le nez. Ils vont mal, sont heureux malgré tout. Jusqu'à ce qu'ils ne le soient plus.
Là, le spectateur est pris en tenaille, partagé entre l'envie de compatir à leurs déboires ou de les secouer comme des cocotiers. Chacun d'eux est effectivement issu de milieux où l'argent coule à flots et les opportunités d'en engranger davantage ne manquent point. Mais bon. Ce sont les années 80 : l'excès n'est qu'une norme parmi tant d'autres. Il faut vivre vite, mourir jeune. Sauf que Clay 2.0 ne l'entend plus de cette oreille, essaie tant bien que mal de convaincre sa dulcinée de construire un avenir à ses côtés.
Sans grande surprise, Bret Easton Ellis n'a pas franchement cherché à chanter les louanges du film. Interrogé sur le sujet par MovieLine en 2010, l'auteur a affirmé sans trop de ménagement : "Je ne connais personne qui ait été satisfait de cette adaptation. Même le réalisateur n'en était pas content. Le fait est que ce film est le produit d'une multitude de compromis [...]. La direction artistique a complètement changé à l'arrivée de Leonard Goldberg sur le projet, lequel était marié, père de famille... c'est devenu une tout autre bestiole". Le temps semble toutefois avoir fait son oeuvre et adoucit le regard de l'auteur, qui a donc reconnu quelques lignes plus tard que le film "a bien vieilli".
death of the party
Ça n'aura probablement échappé à personne (enfin, personne ayant lu Moins que zéro), mais la pléthore de révisions apportées à Clay appuie davantage les dissimilitudes entre son personnage et celui de Julian, campé avec brio par Robert Downey Jr.
Présenté d'office comme le plus fragile, le plus pitoyable, mais surtout, le plus multidimensionnel, Julian se positionne rapidement comme le moteur du récit. Il est l'ami à sauver, le camé irascible endetté jusqu'au cou, l'ancien petit ami dont la vue indispose. Le film s'ouvre sur une remise de diplômes à l'issue de laquelle son paternel plein aux as lui offre la direction d'une maison de disque – parce qu'après tout, pourquoi pas ? Mais Julian a 18 ans, la maison de disque fait faillite, et la drogue lui fait de l'oeil jusqu'à le consumer entièrement. Si peu pour le rêve américain.
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Dès lors, chaque apparition du personnage est plus douloureuse à regarder que la précédente. Son visage est perpétuellement couvert de sueur, ses cernes ont des allures d'oeil au beurre noir, les commissures de ses lèvres craquent douloureusement. Dans un moment d'égarement, il finit par se reprendre, ou du moins essayer et dans la scène la plus poignante du film, supplie son père de le laisser rentrer chez lui, ce que ce dernier refuse. Alors pourquoi chercher à aller mieux, quand la lumière au bout du tunnel ne brille même plus ? Il finit par tapiner pour rembourser son dealer, ce que Clay découvre déçu, mais guère surpris.
Il s'agira de souligner la viscéralité avec laquelle Downey Jr prête ses traits à ce "moins que rien". Dans sa critique du film, le célèbre Roger Ebert a d'ailleurs tenu à en enscencer la justesse : "il est si réel, si subtil, si observateur que c'en est effrayant", a-t-il écrit. Pour le public moderne toutefois, difficile de lancer Neige sur Beverly Hills sans réaliser amèrement la dimension quasi documentaire que le if de l'acteur confère au récit. Alors peut-être qu'au final, c'est son parcours personnel qui encapsule le mieux ce fameux idéal tant décrié par Ellis.
Sans être aussi poignant, amoral et mélancolique que Moins que zéro, Neige sur Beverly Hills propose un récit où l’échec prévaut, et le vice est moins péché que pansement. Oscillant entre paillettes et décadences, le film ne rechigne nullement à exposer la nocivité de ce qu’il dépeint sans pour autant manquer d'une certaine pitié. Capsule de son temps à bien des égards, il s’inscrit surtout comme l'un des piliers fondateurs de propositions futures telles que Beautiful Boy, Euphoria, Perfect High, Requiem for a dream, et tant d’autres. C'est que le temps e, mais pas l'angoisse.
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Effectivement c’est assez difficile d’adapter B.E. Ellis au cinéma.
Malgré la bonne interprétation de Christian Bâle (comme d’hab quoi), American Psycho est vraiment une mauvaise adaptation du roman.
Pendant des années il y a eu aussi des rumeurs pour adapter Glamorama… et dans un sens, mieux vaut que cette tentative ait échoué.
Quant au film évoqué avec RDJ, ne l’ayant pas vu et n’ayant pas lu la nouvelle dont il est tiré, ça me donne bien envie de le voir
Air América, je m’éclate à chaque fois que je le vois.
Un classique sur le sujet. Probablement la meilleure performance de Robert avec Chaplin.
Mouais, les mondes d’Ellis sont difficilement adaptables au cinéma (bon OK Les Lois de l’Attraction sont un bon contre-exemple) et ce film est bien faible par rapport à son modèle.
Je suis (du verbe suivre) Downey Jr depuis longtemps (depuis Air America en fait) et je le préfère largement dans Naturel Born Killers.