Longtemps mal-aimé puis lentement réhabilité, Quentin Tarantino.
En 2012 sort Django Unchained, le plus gros succès commercial de Quentin Tarantino. Le film est un carton critique et public et ce n’est pas pour rien. Dans son tout premier vrai western, le cinéaste retrouve la violence de son cinéma dans une de ses formes les plus cathartiques. La grisante revanche d’un héros afro-américain, ancien esclave, contre l'Amérique ségrégationniste. S'y mêlent une épopée épique et une peinture franche de la cruauté du sud. Ainsi, Tarantino puise dans deux mythologies distinctes. Celle des westerns spaghettis où l’héroïsme triomphe (il rend hommage au Django de Sergio Corbucci) et celle du chef-d’œuvre de Richard Fleischer, Mandigo. Et c'est ce film qui nous intéresse.
Parfois décrit comme un anti Autant en emporte le vent, Mandingo est une plongée, réaliste et radicale, dans le monde des esclavagistes. Rarement un film aura scruté d’aussi près les abjections commises durant cette période, à travers le portrait d’une petite famille du Sud américain et de ses esclaves. Un portrait sidérant, sur lequel Tarantino bâtira les fondations du terrifiant Candyland de Django Unchained. Néanmoins, si la cruauté qu’on y voit est l’un des éléments du succès du film de Tarantino, elle aura bien moins réussi au long-métrage de Fleischer, au point de précipiter sa carrière dans l'abysse. Voyons pourquoi.
Avec 425 millions de dollars au box-office mondial, Django Unchained est le plus gros succès de Tarantino
adapter l’inadaptable
Richard Fleischer, cinéaste à la très large et très éclectique filmographie, a souvent été critiqué du fait de sa polymorphie. En somme, on disait de lui qu'il acceptait de réaliser un peu tout et n’importe quoi. Un reproche étrange, quand y pense. Car c’est bien sa constance à diriger de grands films dans des genres très différents les uns des autres qui, rétrospectivement, a fait la preuve de son talent. Du dystopique Soleil Vert à l’Étrangleur de Boston, tout en ant par la production Disney Vingt Mille Lieues sous les mers, Fleischer a très souvent su s’adapter à tous les styles, et avec brio.
Et pendant longtemps, aucun défi ne semble lui faire peur. Pourtant, il y aura bien un projet qu’il refa plusieurs fois. Un projet initié par le producteur Dino de Laurentiis et dont il pressent toute la dangerosité. Il s’agit évidemment du sulfureux Mandigo. Malgré toute sa bonne volonté, Richard Fleischer ne sera clairement pas chaud pour adapter le roman du même nom de Kyle Onstott. Un livre jugé cynique et à la morale assez effroyable, publié en 1957. Celui-ci dépeint donc une série d’évènements prenant place en 1832, dans la plantation fictionnelle de Falconhurst. Là, la famille Maxwell exploite un grand nombre d’esclaves, traités comme des animaux d’élevage.
James Mason, lui, n’a accepté son rôle que pour payer ses pensions alimentaires
Pour Fleischer, et de nombreux autres, le livre est problématique. Il décrit la plantation avec une rationalité économique complaisante, tout en représentant avec froideur l’esclavage sexuel entretenu dans cette société fermière corrompue. Bizarre, c'est ce dernier aspect du roman qui aurait, en partie, motivé la production du film. Aussi fou que cela puisse paraître, certains auront donc vu dans les relations charnelles entre maîtres et esclaves du livre une bonne base pour des scènes érotiques, voire romantiques, dans un film surfant sur la vague de la blaxploitation des années 70. Il restera même des reliques de cette volonté de romantisme sur l'affiche du film de Fleischer, qui est certes très trompeuse.
Et c’est en partie du fait de ces intentions commerciales contestables que, malgré les multiples sollicitations de Dino de Laurentiis, Fleischer se refuse à s’engouffrer dans le traquenard. L’adaptation d’un tel livre est aussi délicate qu’éthiquement difficile. Mais finalement, avec la promesse d’une approche différente, il cède et récupère le projet. Ainsi, en 1975, dans une interview au Los Angeles Times, le producteur Ralphe Serpe jure qu’il trouve lui-même le livre original repoussant et que le film Mandigo se veut très loin de son esprit. Même s’il en conservera le récit.
Ne croyez pas l’affiche du film, cette scène est aussi glaçante que violente
on dirait le sud
C’est donc un véritable travail d’équilibriste auquel va s’adonner Richard Fleischer. L’idée est ainsi de ne pas chercher à édulcorer le contenu du roman, mais plutôt d'en capturer l’essence brutale et la laideur impitoyable. Il s’agit alors presque d’une sorte de contre-adaptation, une interprétation cinématographique qui embrasse l’horreur décrite dans ces pages, sans chercher à en adoucir les faits les plus sombres. Mais en y portant un point de vue humaniste, salvateur. Mais sans être manichéen pour autant.
La note d’intention du film est vite comprise, et ce dès les premières minutes. Un marchand d’esclaves examine les travailleurs de la plantation Falconhurst comme des chevaux (une analogie qui reviendra souvent tout au long de l'histoire). On observe leur force, leur santé, leur vigueur. Autant de choses qui sont méticuleusement inspectées, les dénudant à la fois de leurs habits et de leur pudeur. Le film refuse de tergiverser avec ce qui est répugnant. Il le montre, l’assume et en liste toutes les caractéristiques, pour qu’aucune n’échappe au spectateur. Et parmi elles, la plus importante : l’insidieuse affection qui relie les maîtres et leurs serviteurs et qui maintiendra l'ordre social.
La famille Maxwell traite donc ses esclaves avec la même affection que l’on traite des possessions précieuses. Ils reçoivent des noms nobles issus de la littérature ou de l’histoire (Ganymède, Lucrèce Borgia, Agamemnon) comme on en donne aux animaux de compagnie. Ils sont aimés quand ils sont profitables et loyaux. Quand ils gagnent des combats ou quand ils font de bons amants. Et ainsi, l’affection des maîtres est encore plus terrible que leur violence (qui est aussi montrée dans le film par des châtiments corporels et humiliations). Celle-ci ayant pour but de rendre tolérables l'asservissement des esclaves et l’abaissement de leur dignité. C’est une chaîne invisible que Mandingo met en évidence.
Même le spectateur peut être dupe. Lorsque le fils de la famille Maxwell, Hammond (interprété par Perry King) s’éprend de la pauvre Ellen ou s’attache à son combattant Ganymède (joué par le boxeur Ken Norton), le film nous fait supposer une certaine décence chez le jeune homme. Pourtant, ce serait vite oublier tous ses crimes et sa nature nous est aussitôt rappelée lorsque l’idée d’affranchir le fils de sa maîtresse le rend fou de rage. Mandigo dérange, car son ambiguïté ne laisse aucun doute sur le mal en lui-même, mais nous fait soudain réaliser notre aptitude à le relativiser. Même quand on ne nous le cache pas. Tout comme les esclaves eux-mêmes s’y habituent.
l’abjection et son double
Et c’est bien entre cette ambiguïté et la crudité radicale de sa violence, que réside toute l’influence d’un film comme Mandingo sur le fameux Django Unchained de Quentin Tarantino. Tout ce qui a été décrit auparavant vous a d’ailleurs sans doute été familier, si vous avez vu le western avec Jamie Foxx et Leonardo DiCaprio. Rappelez-vous de D’Artagnan, l’esclave qui ne voulait plus se battre et qui perd l’affection de son maître pour finir dévorer par des chiens. Ou encore Stephen, l’esclave qui a tant appris à tolérer le mal, qu’il en est lui-même devenu le complice.
Si le film de Tarantino pousse les choses plus loin (il est plus explicitement manichéen et moins subtil), sa peinture est similaire à celle de Mandingo. Candyland apparaît comme un nouveau Falconhurst, peut-être plus périlleux, qui correspond à une même et unique réalité. Celle dans laquelle des familles consanguines, moralement décadentes et aveugles à leur propre abomination, parviennent à entretenir l’illusion de la normalité dans leurs mœurs d’esclavagistes. Et bien évidemment, dans la conclusion des deux longs-métrages, cette normalité est brisée. Une ultime confrontation où tous les masques tombent mènera à chaque fois à l’affranchissement des esprits et des corps.
Finalement, Mandingo, malgré un très bon démarrage, sera donc très mal reçu. Bien que Richard Fleischer se soit donné beaucoup de mal pour accoucher d’un film exemplaire sur un sujet brûlant, il se verra être jugé trop outrancier, à l’instar du livre original. Son œuvre sera unanimement détestée par la critique, qui tentera de l’enterrer. Après ça, Fleischer ne tournera presque plus que des films mineurs (dont Amityville 3D ou Kalidor), sa carrière entachée.
Ironie du sort, c’est pourtant sa démarche artistique radicale (et profondément antiraciste) qui aura contribué à faire de Django Unchained le plus grand succès de Tarantino. Outre cette influence, il faut aussi saluer la portée universelle du film, qui traite de la déshumanisation, certes, mais aussi de la propre humanité du mal, qui inspirera beaucoup d'autres. Car Mandingo, en plus d’un film édifiant sur l’esclavage, est aussi l’une des peintures les plus tangibles du cinéma sur la façon dont l'abjection peut devenir un fondement irrévocable de nos normes sociales. Ce qui n’est pas sans rappeler le récent et génial La Zone d’intérêt, dans un tout autre contexte.
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Connaissais pas, pourtant j ai vu quelques films de ce réalisateur, bon je vais me jeter dessus, merci écran large
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Eomerkor, tellement d’accord.
Fleischer était un sacré réalisateur et un véritable auteur même si d’après certaines interviews il ne se considérait pas comme.
J’ajouterais que Blind Terror et surtout The New Centurions avec le Grand C. Scott sont de sacrés bouts de peloche.
Par contre un peu plus de mal à defendre Conan 2 et Kalidor (a part l’affiche originale!).
Pour ma part je ne peux pas comparer Mandingo à Django. Mandingo est une expérience vraiment choquante et un film subtil. L’approche est différente et le propos nettement plus complexe. J’ai vu ce film il y a de nombreuses années sans rien connaître de l’histoire et du roman. C’est bien la scène du meurtre de l’esclave qui m’a le plus choqué mais au final c’est surtout un film sur un système, celui de la plantation du sud des Etats Unis. Avec son patriarche, le fils qui doit en hériter pour perpétuer sa lignée et qui doute de lui, la consanguinité, la condition des femmes qui si elles gardent des droits et la liberté ne sont guère que les esclaves de leur mari. On y voit toute la perversion qui règne dans cette famille. Le père qui joue avec les nerfs de son fils. La belle-fille délaissée parce que non vierge et qui se venge en prenant pour amant le mandingue. Le fils faible qui va entretenir une relation d’amitié faussée avec le mandingue en le faisant lutter contre d’autres esclaves et finir par l’assassiner d’une manière ignoble. Toute la dépravation d’un monde axé sur les classes sociales et l’esclavage base de son économie et socle de son pouvoir.
Le film a reçu un accueil critique haineux du fait de son propos qui ne minimise absolument rien et décrit des ions humaines dans le contexte de l’esclavage en sol américain. C’est surtout la perversité et la faiblesse des blancs qui a décontenancé plus que ses ambigüités. Ainsi que son approche de la sexualité sans aucune limite morale. Avec le temps le film a été visionné différemment et est apparu comme une critique crue du système colonial, de l’esclavage et aussi d’une certaine forme de puritanisme. Les ambigüités apportent un plus au récit qui évite ainsi d’être manichéen.
Un grand film avec un excellent Perry King, un James Mason égal à lui-même et Ken Norton boxeur de métier qui se démarque (étant pressenti pour jouer Creed aurait-il été aussi bon que Carl Weathers ?) .
Richard Fleischer aura hélas fini sa carrière sur des films parfois sympathiques mais sans aucun relief. Il restera avec Mandigo, Soleil Vert et L’étrangleur de Boston un cinéaste qui sait faire bouger les consciences ainsi qu’un grand conteur avec des films inoubliables comme 20000 lieux sous les mers, Le voyage fantastique, Tora Tora Tora, les Vikings et tant d’autres.
Tres bon film…