Avant que L'Arme Fatale ou Tango et Cash ne débarquent, Eddie Murphy.
Peu de films ont eu un impact aussi immédiat dans l'histoire du cinéma américain que 48 Heures. En réalisant ce polar avec Nick Nolte et un jeune humoriste qui faisait ses débuts au cinéma, Walter Hill a renversé Hollywood en propulsant Eddie Murphy au rang de star et en marquant la naissance d'un genre nouveau : le "buddy-movie".
Mais si 48 Heures est un polar qui tient encore très bien la route et qui a clairement influencé L'Arme Fatale, Le Dernier Samaritain, Rush Hour et tous ces films qui l'ont suivi avec leur tandem de flics devenant copains, il n'a pourtant rien d'un vrai buddy-movie. Au contraire.
DEUX JOURNÉES EN ENFER
Plus qu'un buddy-movie, 48 Heures est avant tout un long-métrage de Walter Hill, et ça se voit. Le cinéaste, disciple de Sam Peckinpah (avec qui il a débuté comme scénariste sur Guet-Apens), est réputé pour son cinéma brut, sans superflu, qui mélange les genres pour aboutir à des films aux allures de westerns urbains.
Avec ce style hybride qu'il a déjà décliné dans Driver ou Les Guerriers de la Nuit, le réalisateur convoque l'esthétique de l'Ouest américain du Gang des frères James dès l'introduction et illustre son amour pour le western en ouvrant le film sur un paysage désertique, un groupe de prisonniers qui montent une voie ferrée et l'évasion brutale des deux antagonistes, Albert Ganz (James Remar) et Billy Bear (Sonny Landham).
Avec cette énergie rudimentaire qui lui est propre, Hill joue la carte du pur film d'action dans un premier temps : alors que l'inspecteur Jack Cates (Nick Nolte) se lance à la poursuite des deux criminels planqués dans un hôtel de San Francisco, deux de ses collègues sont sauvagement abattus dans une fusillade. La violence, sèche et percutante, est filmée avec une certaine fascination par Hill, au ralenti, pour encore mieux capturer l'impact des balles et le sang au milieu des tirs.
Sonny Landham, second couteau toujours bien affûté
Après cette explosion de violence, 48 Heures enchaîne les poncifs du film policier des années 70, avec sa ville décadente, ses méchants flingueurs, ses flics réacs' et son commissaire noir qui gueule à tout-va, le tout au rythme des percussions délirantes de James Horner (qui s'entraînait pour la musique de Commando).
La mise en scène du réalisateur frappe par son efficacité et sa fausse sophistication, comme dans ce plan-séquence de plusieurs minutes dans le poste de police qui sort de nulle part (et qui peut même er inaperçu), où la caméra suit les actions et les conversations de Jack dans un simple panoramique horizontal. Mais elle frappe surtout par sa nervosité, merveilleusement personnifiée par Nick Nolte et sa gueule burinée.
La photographie de Ric Waite donne à la ville un aspect poisseux et terne qui s'accorde totalement avec l'ambiance de western urbain du film où Jack, en John Wayne des temps modernes qui déteste la paperasse, picole pendant le service, voit San Francisco comme son fief et traque le prisonnier évadé et son complice indien au nom de la loi. Sauf que Hill rajoute aussi ce petit quelque chose qui va tout changer : l'humour.
Nick Nolte ne sourit jamais, mais fait très bien le ménage
Pour accomplir sa mission, Jack n'a pas d'autre choix que de s'associer à Reggie Hammond (Eddie Murphy), ancien complice des deux tueurs sur un braquage dont le butin est toujours dans la nature, et le libère pendant 48 heures pour qu'il l'aide à les retrouver. Du moment où Cates rentre dans la prison et entend Hammond chanter Roxanne de Police à tue-tête depuis sa cellule, l'élément comique s'insinue dans le film et la machine se lance. Cates déteste immédiatement ce type et la tension entre eux ne fait que croître à partir de là.
Dès lors, Walter Hill livre un polar nerveux et violent dégraissé au possible, où le tandem se chambre à tout-va, flingue des types sans état d'âme et enchaîne les courses-poursuites dans toute la ville en causant pertes et fracas.
"We ain't partners. We ain't brothers. And we ain't friends."
En revanche, s'il annonce toute une série de films du genre qui reprendront tant bien que mal la même formule, 48 Heures n'a rien d'un buddy-movie et pourrait même être qualifié d'"anti buddy-movie" : Jack Cates et Reggie Hammond ne sont pas copains. Ils se détestent, et le répètent constamment. Hammond abhorre la police et pense que la plupart des Blancs sont racistes, tandis que Cates le voit comme un voyou irrécupérable qui parle trop (ce qui n'est complètement faux, puisque Hammond vole tout ce qu'il peut pendant le film, qu'il s'agisse d'un pistolet, d'un couteau ou même d'un briquet).
En tout point, les deux personnages sont diamétralement opposés : Jack est un flic bourru et solitaire de la classe moyenne alors que Reggie est un truand baratineur des bas-fonds. À cette différence de statut, le film ajoute une autre opposition, aussi essentielle que symbolique au début des années 80 : la couleur de peau.
D'autres films avant 48 Heures avaient déjà montré un blanc et un noir s'associant au nom d'un but commun, comme Dans la chaleur de la nuit, avec Sidney Poitier et Rod Steiger. Mais ce drame est en grande partie un commentaire social sur le racisme en Amérique et n'essaie pas d'être drôle. Walter Hill, pour autant, ne s'attaque pas directement au sujet, préférant le traiter en jouant sur les préjugés et les représentations des deux communautés.
Quand Eddie balaie les péquenauds et s'offre une scène mémorable
Dans une scène devenue culte, la meilleure du film, Jack prête son badge à Reggie pour qu'il interroge des gens dans un bar. Mais quand il entre, il découvre que c'est un repère de rednecks qui ont accroché des drapeaux conférés partout et qui dansent sur de la country. Avec son sens de la vanne et sa classe naturelle, Eddie Murphy fait taire les bouseux en s'autoproclamant "nouveau shérif" de ce western, comme un Bass Reeves qui restaure l'ordre par le rire (et les poings, s'il faut).
Un peu plus tard, une scène-miroir montre le duo dans une boîte de nuit afro-américaine, où Reggie tente de draguer toutes les femmes qu'ils croisent pendant que Nick Nolte, étranger dans cet environnement, ne pense qu'à sortir pour continuer l'enquête.
La différence entre les deux hommes ne se limite pas qu'à une question de couleur de peau ou de statut social : Cates est un alcoolique (comme le prouve le whisky dans son café dès le matin ou la flasque qu'il trimballe dans sa poche) qui conduit une vieille Cadillac, porte des fringues usées et se comporte comme un mâle dominateur toxique avec sa femme. À l'inverse, Hammond possède une Porsche, un costume hors de prix, un charme irrésistible et e pour un dragueur plus ou moins sympathique ou relou auprès de la gent féminine, sa seule obsession après trois ans de prison.
Mais malgré ces accès d'humour, comme tout le reste du film, leur association n'est régie que par la violence : les humiliations, les brimades, la brutalité verbale, physique et psychologique de Jack envers Reggie... Contrairement aux duos de buddy-movie qui se chamaillent et partagent une animosité bon enfant, il n'y a que de la haine pure et simple entre les deux héros de 48 Heures. Cette hostilité va jusqu'aux insultes racistes répétées, éclatant dans une spectaculaire séquence de bagarre où le réalisateur place les deux hommes sur un pied d'égalité quand, après leur démonstration de force, ils sont arrêtés par des policiers en patrouille qui se moquent d'eux.
Ce n'est qu'après cet affrontement que le rapport entre les deux héros évolue vers une relation un peu plus saine. Les différentes fusillades, courses-poursuites et autres épreuves du feu qu'ils traversent font alors naître une forme de respect mutuel, mais qui n'est toujours pas de l'amitié à la fin.
Et si cette alchimie particulière entre Jack Cates et Reggie Hammond fonctionne si bien, c'est peut-être aussi parce que la relation entre Nick Nolte et Eddie était plus ou moins la même sur le tournage et que plusieurs de leurs traits se retrouvent dans leurs personnages. Le film a failli ne pas voir le jour quand Nick Nolte a refusé de rencontrer Eddie Murphy parce qu'un de ses amis lui avait dit que la star du Saturday Night Live se droguait (l'ami en question l'avait finalement confondu avec Garrett Morris).
Eddie Murphy étant doué en improvisation, Nolte devait jouer chaque prise à l'identique et s'agaçait. Sur le plateau, l'acteur se plaignait constamment, mélangeant jus d'orange et vodka dans son verre entre les scènes, tandis que Murphy faisait hurler de rire toute l'équipe du film à chaque scène et trouvait des idées géniales (en chantant Roxanne par exemple, qui n'était pas dans le script).
En extrapolant un peu, Jack Cates et Reggie Hammond peuvent même être vus comme des représentations de la carrière des deux acteurs au moment où 48 Heures est tourné : Nick Nolte, 41 ans, est une forte tête qui tient son premier gros rôle et va brillamment continuer d'incarner les personnages bougons qui n'aiment personne, mais voit un jeune comique débutant lui voler la vedette à chaque scène. De son côté, Eddie Murphy, à 21 ans seulement, est un concentré d'humour et de charisme devenu la sensation du Saturday Night Live grâce à son tac au tac fulgurant et apparaît à l'affiche de son premier film sous la direction de Walter Hill, qui va le propulser au rang de star de la comédie.
C'est peut-être en partie pour cette raison que 48 Heures s'est aussi bien conservé : parce que ce n'est pas un buddy-movie, mais un film d'action énervé dans lequel un des deux personnages est incarné par un pur talent comique qui ne demandait qu'à exploser. La comédie ne prend jamais le pas sur l'action. Le film ne se sent pas obligé de mettre des répliques drôles et des piques entre les personnages à chaque scène. Il n'a qu'à laisser Nick Nolte et Eddie Murphy être les meilleurs Jack Cates et Reggie Hammond qu'ils peuvent être. Et c'est cette authenticité qui fait qu'il se démarque de tous les autres films du genre qui ont essayé de le copier.
Difficile de leur en vouloir : à sa sortie en 1982, 48 Heures est un triomphe et récolte 78 millions de dollars de recettes pour un budget de 12 millions (hors inflation), se plaçant directement à la septième place du box-office mondial, devant le premier Rambo ou Conan le Barbare.
Comme tous les producteurs et scénaristes à Hollywood, ceux qui ont participé de près ou de loin à la production du film s'en sont directement inspirés par la suite : Eddie Murphy en ant de l'autre côté de la loi dans Le Flic de Beverly Hills en 1984 ; Joel Silver en reprenant l'idée du duo de flics improbable dans une version dopée à l'écriture de Shane Black dans L'Arme Fatale en 1989 ; Walter Hill en suivant la mode du buddy-movie qu'il initié sans le vouloir dans Double Détente en 1988.
Puis, comme pour boucler la boucle, tout ce beau monde s'est retrouvé dans une suite en 1990, 48 Heures de plus, qui imite le premier film déjà copié et recopié par d'autres à une période où le cinéma d'action va encore se réinventer avec Bruce Willis, Tom Cruise ou encore Michael Bay et ses Bad Boys, version améliorée du buddy-movie déjà désuet.
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@Magnitude
Cest vrai que le 2 semble très forcé, le age avec le « Rooooxaaaane » d’Eddie Murphy (un poil bouffi d’ailleurs ici) m’a semblé too much, mais bon ça reste du Walter Hill comme je l’aime 🙂
Ils ont réédité le diptyque en 4K tiens… 🙂
L’image de l’article avec Sonny Landham c’est le même plan que dans Prédator non ?
Ray a tout dit ou presque, la suite est en effet nettement en dessous, mais pas si désagréable.
Mais l’original, oui, fun, sec, violent quand il faut, et l’un des poids lourds du genre dans sa catégorie époque 80, et oui quelle zique, bon dieu!!!
Péloche et pas péniche. Sacré correcteur quand tu nous tiens…
Un model du genre bien brassé dans les 80’s.
Du Steven E. de Souza au scénario (entre autres), du James Horner à la zique (ce put*** de saxophone), du costume by Armani, du Lawrence Gordon et Joel Silver à la production et des gueules que seul le cinéma US de cette époque là était capable de fournir : Jonathan Banks, Brion James, Frank McRae, James Remar, ce bon fou de Sonny Landham, David Patrick Kelly!!!!
Perso, j’adore le plan séquence dans le commissariat qui suit Nick Nolte à chercher les informations sur les deux truands.
Walter Hill t’as la classe et tu l’auras encore plus avec Extreme Prejudice qui est un sacré bout de péniche aussi!
Acheté il y a peu, et donc revu. Toujours aussi bon.
Je dirais plus que 48 hrs. a remis le buddy movie au goût du jour, et qu’il a su installer le genre (avec des personnages très opposés (caractères, raciaux)). Le cinéma français (et pas que) s’étant déjà illustré dans ce registre.
48 heures de plus par contre était déjà mauvais à l’époque. Je l’ai revu, et il est d’un ridicule. Rien ne fonctionne, pas même le duo.
Est-ce que l’Arme Fatale lui doit tout ? Je n’irai pas jusque là, mais il est évident que le duo Riggs / Murtaugh fonctionne à merveille. Meilleur buddy movie policier, ensuite Tango et Cash forcément.
Un pur film qui n’a même pas vieilli dans ses propos.
Revu il n’y a pas longtemps. Un modèle de film qui tient en haleine, développe ses personnages et leurs relations tout en f