Films

L’Ancien Testament revu et corrigé à la Stephen King : un rêve devenu réalité grâce à Bill Paxton

Par Geoffrey Fouillet
28 septembre 2023
MAJ : 19 octobre 2023
Emprise : L'Ancien testament revu et corrigé à la Stephen King : un rêve devenu réalité grâce à Bill Paxton

Stephen King, Sam Raimi et James Cameron ont dit tout le bien qu’ils pensaient d’Bill Paxton méritait amplement leurs louanges.

De tous les seconds couteaux ayant traversé le cinéma américain (et ça en fait beaucoup), Bill Paxton tirait indéniablement son épingle du jeu. Sorte de croisement idéal entre Dennis Quaid, pour le tempérament musclé, et Kevin Bacon, pour la folie douce, le comédien a su se tailler la part du lion en s’imposant dans des superproductions comme Apollo 13 et Twister, et obtenir ses galons auprès de cinéastes de renom tels que James Cameron, son mentor.

Lorsqu’il réalise son premier film Emprise, avec le soutien de "Jimbo" (oui, on parle bien du papa de Titanic), Paxton accepte de mettre en scène un scénario très risqué sur le papier. Et pour cause, il appartient à cette catégorie de projets propres à épouvanter la sacro-sainte morale chrétienne. Mais rassurez-vous, on s’en remet, et même, on en redemande !

 

Emprise : photo, Matthew McConaugheyPourquoi cet air si sérieux, Matthew ?

 

DIEU M’A DONNÉ LA FOI

On a beau leur trouver quantité de défauts, on garde un attachement particulier pour tous ces thrillers post-Seven qui faisaient de leur générique d’ouverture un catalogue d’images d’archives, de photos de scènes de crime et d’articles de presse. Emprise s’inscrit ni plus ni moins dans cette continuité, avec de vrais échos à Usual Suspects ensuite. Un homme, Fenton (Matthew McConaughey), raconte son histoire à l’agent Doyle afin de le convaincre de ses dires : le tueur dénommé "La Main de Dieu" ne serait autre que son frère, Adam.

Commence alors le récit au é, à l’époque où Fenton et son frère, encore enfants, se rendaient complices des délires sanguinaires de leur père (Paxton lui-même), convaincu d’avoir été chargé par Dieu de détruire des démons, soit des "mauvais chrétiens". De ce postulat glaçant, et avec une économie de moyens redoutable (après tout, le budget alloué ne déait pas les 11 millions de dollars), l’acteur-réalisateur donne à vivre de l’intérieur l’effet d’une révélation divine sur une famille ordinaire.

 

Emprise : photo, Bill Paxton, Matt O'Leary, Jeremy Sumpter En route pour le Jugement dernier !

 

La patine classique du film, "à l’ancienne", surtout lors des flashbacks (il faut saluer à ce titre le travail du chef opérateur Bill Butler, déjà à l’œuvre sur Les Dents de la mer et Conversation secrète, rien que ça), conspire au départ à faire du foyer un havre de paix. Hélas, pour Fenton et son frère, c’est bien la hache de guerre que compte déterrer leur père (littéralement). D’où cette sensation de cauchemar qui contamine très vite le film, encapsulée dans cette réplique de Fenton : "L’univers heureux et insouciant dans lequel je vivais venait de basculer, tout était noir en dessous".

En dépit d’une vision certes marquante, mais un peu incongrue, mettant en scène un ange auréolé de flammes, Emprise évite aussi de trop en montrer, incarnant au mieux la conviction aveugle du père, incapable d’expliquer concrètement ce dont il a été témoin (souvenez-vous, les voies du Seigneur sont impénétrables). Tout le projet du film est ainsi contenu dans ce saut de foi que le personnage cherche à imposer à ses fils, et par extension au spectateur.

 

Emprise : photo, Bill Paxton, Matt O'Leary, Jeremy Sumpter "Entends l’appel du Tout-Puissant, mon Fils"

 

DES DÉMONS ET DES HOMMES

Au fond, plus on cache l’innommable, plus on l’accepte. De fait, aucun signe extérieur ne permet d’associer les victimes du père à leur nature à priori démoniaque. Là où le film se fait plus insidieux en revanche, c’est dans sa façon d’emprunter des archétypes souvent "diabolisés" par un certain cinéma d’exploitation (l’infirmière de nuit, le vieil homme qui fait ses courses, etc.). C’est alors moins l’image que l’idée qu’elle sous-tend qui sème le doute. Au départ pourtant, l’acteur-réalisateur l’entendait différemment.

"Bill voulait que les démons aient des prothèses en guise de cornes et des dents pointues effrayantes. Je voulais seulement que leurs crimes soient montrés dans des flashbacks, car il n’existe pas de démons avec des crocs acérés et des cornes. Les démons errent ici-bas sous une apparence humaine. Que ce soit Charles Manson, Jeffrey Dahmer (…), les humains sont les créatures les plus dangereuses sur Terre", déclarait le producteur David Kirschner lors d’une interview donnée au site Bloody Disgusting.

 

Emprise : photoSon seul et dernier espoir, c’est de chanter : "Libérée, délivrée…"

 

Si fantastique il y a (à vous de le découvrir), il ne se manifeste jamais au travers d’effets tape-à-l’œil. Ce qui n’empêche pas de voir se déployer une véritable mythologie à l’écran, sous influence de l’Ancien Testament et en écho surtout à l’épreuve biblique d’Abraham, censé sacrifier son fils Isaac sur ordre de Dieu. Il en va de même dans Emprise où, s’il n’est pas question de tuer un fils (quoique), l’injonction à faire couler le sang reste la même, qui plus est selon un rituel bien spécifique.

D’abord, il faut assommer le démon à l’aide d’un tube en métal, puis révéler ses péchés avec une paire de gants, et enfin le détruire d’un coup de hache (un jeu d’enfant, n’est-ce pas ?). Chacune de ces étapes, répétée, assimilée, renvoie évidemment aux mises à mort rituelles perpétrées à travers l’Histoire au nom de la religion. Et c’est cette connivence glaçante avec la réalité historique qui a pu en déranger certains, surtout aux États-Unis, où la devise "In God we trust" ("En Dieu nous croyons") est imprimée sur tous les billets de banque et pièces de monnaie.

 

Emprise : photo, Bill PaxtonÇa va trancher !

 

QUI AIME BIEN CHÂTIE BIEN

Mais Emprise fait surtout (très) peur quand il martyrise psychologiquement les enfants, et en particulier Fenton. En cela, on pense beaucoup à l’œuvre de Stephen King, à Ça et Shining en premier lieu, où l’innocence des plus jeunes est bafouée par une figure malfaisante adulte ou supérieurement autoritaire. En l’occurrence ici, on assiste ni plus ni moins à l’effondrement des valeurs familiales traditionnelles, piliers fondamentaux des enseignements catholiques, puisque le parent sème la mort au lieu de propager l’amour.

C’est là que le titre original du film Frailty ("Fragilité") prend une tout autre dimension, évoquant autant l’instabilité émotionnelle dont souffre la famille que l’idéal de vertu intenable auquel se heurte tout "bon chrétien". Et c’est ce dilemme incessant entre le besoin de maintenir la confiance dans le foyer et l’obligation religieuse d’honorer Dieu, qui pousse les personnages à se faire du mal, à commencer par le père vis-à-vis de ses fils.

 

Emprise : photo, Bill Paxton, Matt O'Leary, Jeremy SumpterL’éducation à la dure, c’est sacré !

 

Paxton n’avait sans doute jamais joué à un tel degré d’ambiguïté auparavant, quand bien même on peut relever quelques similitudes avec son rôle dans Un Plan simple de Sam Raimi. C’est l’une des raisons pour lesquelles il souhaitait réaliser le film, afin de casser son image de "type équilibré" véhiculée dans ses plus gros succès. Emprise lui offre une occasion en or d’y arriver en l’assimilant à un ogre (la corpulence en moins), et c’est très réussi.

Résultat, on tremble avec Fenton et son frère, tout en redoutant leur futur endoctrinement. Et sans déflorer le fin mot de l’histoire, la radicalité avec laquelle l’acteur-réalisateur dépeint le sort de ses personnages a de quoi perturber. Savoir que James Cameron a contribué, en salle de montage, à rendre la conclusion du film plus retorse encore, achève d’en faire une œuvre décidément à part.

 

Emprise : photo, Matt O'Leary, Jeremy SumpterIls étaient pourtant si innocents (tant pis)

 

é bien trop inaperçu à sa sortie, la faute à une campagne marketing inexistante (disons-le franchement), Emprise réussit donc à faire peur à force de n’avoir peur de rien, ni même des catholiques les plus farouches. Alors aussi clivant qu’il soit, on se désole que Paxton n’ait pas eu la carrière de réalisateur qu’il mérite, et on chérit d’autant plus ce premier film, parmi les coups d’essai les plus saisissants vus dans les années 2000.

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Ozymandias
Ozymandias
il y a 1 année

Vu il y a quelques jours, j’ai trouvé ça vraiment cool, une belle découverte. Merci à vous !

Ozymandias
Ozymandias
il y a 1 année

Allez je vais me tenter ça ! Connais pas du tout…

Rorov94m
Rorov94m
il y a 1 année

Ce qui fait de moi ton père mais aussi ton oncle…
(Pourtant, c’est pas faut’d’me retirer avant!)

Rorov94m
Rorov94m
il y a 1 année

@inquisiteur2mes2
Tu a oublié de préciser ceci:
Amateur de cagoule funky, de barbecue nocturne à base d’alligator et de filles édentée en jeans crade moulant…
Sans oublier ta p’tite maman qui est aussi ma soeur…

Birdy l'inquisiteur
Birdy l'inquisiteur
il y a 1 année

@Rorov : je le savais. Ça sentait le KKK à plein nez.

Birdy l'inquisiteur
Birdy l'inquisiteur
il y a 1 année

Merci les gars de m’avoir rappelé de voir ce film. Et comme vous tous : Bill Paxton. Acteur si genial ppur s’identifier au mec lambda cool, droit, le bon pote ideal.

Ninini
Ninini
il y a 1 année

Un chef d’oeuvre à mes yeux. Bill Paxton y est d’une justesse incroyable et donne dans sa réalisation un ton tellement singulier au métrage qu’il en fait une œuvre unique et troublante de noirceur et paradoxalement aussi d’espoir. Fallait oser. Un grand film

The insider38
The insider38
il y a 1 année

@karev : mais va te coucher , toccard va

Andarioch1
Andarioch1
il y a 1 année

Acheté en DVD sur la foi du nom de Paxton.
Grosse claque, malaise parfois
Le mal rôde sur ce film
Paxton a gagné, largement, ses galons de réal culte avec ce film

alulu
alulu
il y a 1 année

Premier long métrage et premier très bon film. À croire que la main de Dieu s’est posée sur ce film.