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Le film catastrophe ultime : La Tour infernale, ou le début de la fin d’un genre hollywoodien

Par Geoffrey Crété
20 août 2023
MAJ : 21 août 2023
La Tour infernale : La Tour infernale, la pure folie hollywoodienne qui a révolutionné le film catastrophe

Grand classique des films catastrophe, Steve McQueen est une pure folie de cinéma, avec un tournage et des coulisses presque aussi ionnants que le film lui-même.

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Pour toute personne qui aime les tornades, les ouragans, les cométes et autres rendez-vous obligatoires de film catastrophe, La Tour infernale est une étape incontournable. Certes, ce n'est qu'une tour enflammée, il n'y a ni tremblement de terre ni apocalypse, mais avec 500 mètres de haut et 138 étages, c'est le cauchemar absolu.

Sorti en 1975, le film co-réalisé par John Guillermin et son producteur Irvin Allen a fait date. Avec son casting quatre étoiles (Paul Newman, Steve McQueen, Faye Dunaway, Fred Astaire, William Holden), ses moyens exceptionnels et son succès phénoménal, La Tour infernale a largement participé à la popularité du film catastrophe.

Si tout un tas de films ont, depuis, essayé de copier la recette (oui toi, vilain Skyscraper), personne ne l'a égalée. Et c'est d'autant plus remarquable que ce film est né grâce à un alignement d'étoiles exceptionnel, un peu comme Titanic de James Cameron.

 

 

la (re)naissance des films catastrophe

Les années 70 n'ont pas inventé le film catastrophe, mais c'est tout comme. En 1970, le film Airport rencontre un succès inouï avec près de 130 millions au box-office, pour un budget de 10 millions. En 1972, L'Aventure du Poséidon fait le même score avec un budget deux fois moins élevé. D'un coup, le genre devient l'obsession des studios, qui se lancent dans une course effrénée au prochain désastre qui fera un carton.

Tremblement de terre, 747 en péril, Les Naufragés du 747, Airport 80 Concorde, L'inévitable catastrophe, Le Dernier Secret du Poséidon, La Jour de la fin du monde, Avalanche, Meteor, sans parler des téléfilms : en l'espace de quelques années, Hollywod cartographie à peu près toutes les catastrophes, définissant ainsi un genre qui utilise toujours les mêmes formules 50 ans après.

 


 

La Tour infernale est le fruit le plus juteux de cet arbre qui s'est écroulé sous son propre poids en moins de dix ans, suite à plusieurs gros flops. En 1973, alors que tous les studios couraient après le prochain succès, deux projets concurrents ont été lancés quasi simultanément : une adaptation du livre The Tower de Richard Martin chez Warner Bros., et une adaptation du livre The Glass Inferno, de Thomas N. Scortia et Frank M. Robinson, chez la Fox. Dans les deux cas, c'était une histoire de grande tour qui prend feu à cause de défauts de construction.

La Tour infernale est né de ces deux projets. Co-produit par 20th Century Fox et Warner Bros., qui se sont exceptionnellement associés, le film est un mélange des deux livres, avec l'ambition de créer le grand film catastrophe catégorie tour enflammée. Et tout ça a eu lieu grâce à un homme incontournable dans les années 70 : Irwin Allen, grand producteur et petit réalisateur, qui a largement contribué à la popularité des films catastrophe... avant de quasiment tuer le genre quelques années après.

 

La Tour infernale : photo, Faye DunawayQuand tu dois revoir La Jour de la fin du monde pour écrire l'article

 

le duo infernal

Le nom d'Irwin Allen est indissociable du film catastrophe. Producteur depuis les années 50, cet homme à tout faire qui est é par la publicité et la radio a changé les règles du jeu avec L'Aventure du Poseidon en 1972. L'immense succès du film réalisé pour 20th Century Fox lui a immédiatement donné envie d'exploiter le filon, et il a vite flairé le potentiel du livre The Tower de Richard Martin. Avant même sa parution en 1973, le bouquin était convoité et avait créé une guerre entre plusieurs studios pour en acheter les droits. Warner a finalement remporté la mise en lâchant 390 000 dollars, damant de justesse le pion à la Fox.

Mais le destin n'en avait pas fini avec eux. Deux mois après, un livre arrivait chez la Fox : The Glass Inferno. Allen racontait à The New York Times en 1973 : "Un miracle absolu. Personne ne croyait à ce qu'on était en train de lire. Le même genre de personnage, le même décor, la même histoire, la même conclusion". Cette fois, ils ont directement mis 400 000 dollars sur la table, pour empêcher les autres studios de se positionner.

Victoire ? Absolument pas. Allen expliquait : "Maintenant on avait un livre et ils avaient un livre presque identique. Tout le monde chez Fox s'est regardé, et s'est demandé, 'On fait quoi maintenant ?'".

 


 

A Hollywood, il y a pire chose que de collaborer avec l'ennemi : un échec qui fait perdre beaucoup d'argent. Pour éviter un duel entre deux films similaires qui ferait du mal à tout le monde, le patron de la Fox a appelé celui de Warner. La chance a fait que les deux équipes avaient des relations cordiales, évitant ainsi une guerre ouverte.

Richard Shepherd, alors vice-président de Warner, expliquait au New York Times : "Si on avait voulu une course, on aurait clairement pu lancer notre film en premier. Fox avait acheté un livre sous forme non définitive, c'était seulement un traitement long et détaillé. Mais, en tant que personnes prudentes et intelligentes, on ne pouvait pas décider de faire une course".

Mais la Fox avait quelque chose d'au moins aussi précieux qu'un livre terminé : Irwin Allen, chez eux depuis 14 ans, et dont le savoir-faire était d'une valeur immense pour un tel projet. Tout le monde y gagnait.

 


 

la vraie guerre d'ego

La collaboration a été simple. Le budget de 14 millions a été divisé en deux, et les studios se sont partagé le business de l'exploitation – la Fox a géré la sortie au box-office domestique, et Warner dans le reste du monde en plus de récupérer les droits TV. La moitié des personnages était tirée de The Tower et l'autre, de The Glass Inferno. Le titre du film a été créé à partir des deux : The Towering Inferno en version originale.

Porté par le succès de L'Aventure du Poséidon, le scénariste Stirling Silliphant a été chargé de prendre le meilleur des deux livres pour créer une seule histoire. C'est pour cette raison que La Tour infernale est un tel spectacle. Le film a notamment récupéré les deux climax, avec le cable tendu entre deux immeubles de The Tower, et le réservoir d'eau qui doit exploser dans The Glass Inferno. L'association des deux studios a permis de gonfler les dépenses : chaque film aurait normalement coûté dans les 5 millions, pourtant la réunion en a coûté 14.

Autre point commun avec Poséidon : John Williams à la musique.

 

La Tour infernale : photo, Faye Dunaway, Paul NewmanPremière rencontre entre Fox et Warner

 

Une entente idyllique dont tout le monde avait conscience à l'époque, notamment Gordon Stulberg, alors président de la Fox : "J'imagine que ça ressemble à une histoire d'amour exagérée. Mais je suis dans cette guerre depuis si longtemps que je considère que c'est une chance quand les gens s'entendent bien au sein d'un même studio. Et encore plus chez un autre studio". Une situation qui rappelle Titanic de James Cameron, fruit d'une collaboration entre les studios Fox et Paramount, Fox ayant cherché un partenaire pour partager les coûts et les risques.

La véritable guerre de pouvoir a finalement eu lieu à plus petite échelle, entre les acteurs superstars Paul Newman et Steve McQueen. Un vieil article du Sunday Times, datant de 1978, cite Newman : "C'est la première fois que je me suis laissé avoir par ces saletés de chiffres. J'ai fait ce film pour un million et 10% des recettes, mais c'est la première et dernière fois, promis. Vous voulez savoir jusqu'où ça va ces conneries ? McQueen a compté toutes ses répliques et quand il a découvert que j'en avais vingt de plus, il a demandé au producteur de lui rajouter des scènes pour en avoir autant que moi".

 


 

La légende raconte que la gueguerre a continué jusqu'à l'affiche de La Tour infernale, pour décider quel nom serait placé en premier. La solution : Steve McQueen est en premier si on lit de gauche à droite, mais Paul Newman apparaît au-dessus, et donc en premier si on lit de haut en bas. Même chose pour le générique de début et de fin.

C'est très drôle, et c'est devenu une sorte de modèle pour gérer les egos à Hollywood (regardez l'affiche de Chicago, avec Renée Zellweger et Catherine Zeta-Jones).

 


 

une tour de magie

Au début des années 70, Irwin Allen était connu et respecté en tant que producteur, mais pas que. En 1975, il avait déjà deux documentaires, un téléfilm et quatre longs-métrages sur son CV de réalisateur, avec notamment le succès des dinosaures du Monde perdu (1960) et des monstres du Sous-marin de l'apocalypse (1961). La rumeur dit qu'il voulait mettre en scène La Tour infernale, mais que la Fox a refusé.

Toujours est-il qu'il y a mis un pied puisqu'il a réalisé les scènes d'action, tandis que John Guillermin (derrière le King Kong de 1976) a été engagé pour gérer les acteurs. Ce qui était sûrement la meilleure idée du monde quand on voit comment Allen a ensuite dirigé Michael Caine dans L'Inévitable catastrophe (The Swarm), fascinant navet qu'il a réalisé en 1978 et où le grand acteur e son temps à hurler.

 

La Tour infernale : photo"Scènes d'action réalisées par Irwin Allen"

 

En interview à l'époque, Allen expliquait : "Je me suis choisi pour réaliser les scènes d'action, parce que j'aime ça, et que je dois être plutôt doué, sinon ils ne m'auraient pas laissé faire". Il parlait aussi de la difficulté comparée à Poséidon : "Contrairement à l'eau, qui reste immobile entre les plans, vous avez intérêt à être prêt avec vos huit caméras pour tourner une fois que vous avez craqué l'allumette, parce que le feu n'attend personne. C'est pour ça qu'on a brûlé beaucoup de choses".

L'expérience d'Irwin Allen n'était pas de trop, notamment pour former l'équipe parfaite. Il a donc rappelé les magiciens de Poséidon : les spécialistes en effets visuels L.B 'Bill' Abbott et A.D Flowers ; le spécialiste en matte painting Matthew Yuricich ; et le coordinateur de cascade Paul Stader.

Pour les 2h45 de La Tour infernale, plus de 50 décors ont été construits. Rien que le climax avec l'inondation a demandé neuf jours de tournage avec neuf caméras, pour neuf minutes dans le film. Une réplique de la tour haute de 20 mètres au moins a été utilisée, avec trois tuyaux de gaz derrière chaque fenêtre afin créer trois effets de feu et explosion différents. De quoi imaginer l'ampleur du travail et le souci du détail.

 

La Tour infernale et sa tour "miniature" de plus de 20 mètres, utilisée pour le film (avec arrivées de gaz et d'eau derrière les fenêtres, pour créer les effets voulus en direct) pic.twitter.com/y5HNkVYWQL

— Geoffrey Crété (@GeoffCrete) August 17, 2023

 

à en perdre allen

Mais à l'image des personnages de ses films, victimes de leurs propres ambitions et hubris, Irwin Allen a fini par provoquer l'effondrement de sa propre carrière, entraînant tout le genre avec lui.

Après les succès faramineux de L'Aventure du Poséidon en 1972 et La Tour infernale en 1975, il a enchaîné trois bides colossaux : L'inévitable catastrophe en 1978, avec Michael Caine et un essaim d'abeille tueur ; Le Dernier Secret du Poséidon en 1979, suite poussive avec encore Michael Caine et une histoire de voleurs de plutonium ; et Le Jour de la fin du monde en 1980, avec Paul Newman qui affronte un volcan sur une île. Sachant qu'il a réalisé les deux premiers, il était entièrement responsable des désastres.

 

La Tour infernale : photo, I Irwin AllenIrwin Allen, superstar des seventies

 

Le vent avait tourné. Rocky, Star Wars, Superman, Alien sont arrivés. George Lucas, Steven Spielberg, Ridley Scott, John Carpenter, Coppola et bien d'autres ont relégué Irwin Allen et ses catastrophe au placard, et changé le modèle (notamment la pseudo-importance des stars hollywoodiennes). Le Gene Hackman héroïque de L'Aventure du Poséidon affrontait désormais Superman en tant que Lex Luthor.

La Tour infernale apparaît véritablement comme le grand film catastrophe des années 70. Le plus fou, le plus ambitieux, le plus intemporel, qui n'a pas pris une ride en terme de pureté et efficacité narrative. C'est le film qui a fait gagner ses lettres de noblesse au genre, tout en le condamnant à redescendre après ça, inévitablement. Et c'est presque poétique pour cette histoire de tour la plus haute du monde, qui brille de mille feux (littéralement) jusqu'à être réduite en cendres.

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Eddie Felson
Eddie Felson
il y a 1 année

Un classique, et l’un des meilleurs films catastrophes. Et ce casting de folie!

@tlantis
@tlantis
il y a 1 année

Hocin qui a envie en gros de dire ce qui es déjà dit … lol

La Classe Américaine
La Classe Américaine
il y a 1 année

@Flash : +1
Epique!

BudSpencer
BudSpencer
il y a 1 année

Un film totalement surréaliste, on y voit un sénateur aider des gens

Geoffrey Crété
Geoffrey Crété
il y a 1 année

@Hocine

Je parle effectivement de la quand je dis « sorti en 1975 », on donne tout le temps la date française pour s’adresser au public français. Quant au reste sur McQueen/Newman… oui, j’en parle en détail dans l’article 🙂

@fethi

Oula, merci, je corrige cette coquille

Hocine
Hocine
il y a 1 année

Si on se réfère à la sortie américaine, La Tour Infernale est plutôt un film de 1974, plus gros succès de l’année aux USA. Ce que je retiens avant tout du film est son casting hollywoodien avec, en pôle position, Steve McQueen et Paul Newman. McQueen aurait exigé d’avoir le même nombre de répliques que Newman et de voir son nom inscrit en premier au générique. Finalement, son nom sera inscrit à droite de celui de Newman mais plus haut sur l’écran. McQueen aurait toujours considéré Newman comme un rival sur le plan professionnel. Ils avaient déjà joué ensemble dans Marqué par la haine en 1956: Newman en était la vedette tandis que McQueen jouait un petit rôle. Depuis cette époque, McQueen s’était juré de déer un jour Paul Newman au box-office. Cette rivalité me fait un peu penser à celle entre Belmondo et Delon à l’époque de Borsalino. La Tour Infernale est un film co-distribué par Warner et Twentieth Century Fox, qui avaient à l’origine, un projet distinct chacun. Plutôt que de se concurrencer, les deux studios ont préféré s’associer. Ce qui était alors inédit à Hollywood. Je ne sais pas si c’est exact mais Clint Eastwood aurait refusé de jouer dans La Tour Infernale, après s’être aperçu que la véritable star du film était les effets spéciaux.
Clint aurait joué le rôle de l’architecte, celui que Paul Newman a joué. À cette époque, Clint Eastwood était une star très en vue. Alors, je me dis qu’il n’était pas impossible que le scénario du film ait atterri sur son bureau. Les films-catastrophes des années 70 misaient beaucoup sur leurs castings de stars et semblaient à contre-courant du Nouvel Hollywood. Je dirais qu’ils avaient tendance à prolonger la tradition du Vieil Hollywood.

Fethi
Fethi
il y a 1 année

Mini boulette dans ce bel article : John Guillermin a réalisé le King Kong de 1976, pas celui de 33.

Flash
Flash
il y a 1 année

Robert Wagner qui crame, le meilleur moment du film.