Films

Le Syndicat du crime : comment Tsui Hark et John Woo ont révolutionné (sauvé) le cinéma HK

Par marvin-montes
25 décembre 2022
MAJ : 24 mai 2024

Le producteur Tsui Hark, le réalisateur John Woo, et la future vedette Chow Yun-Fat : c’est Le Syndicat du crime.

Le Syndicat du crime : photo

Un producteur démiurge et iconoclaste (Syndicat du crime, polar explosif qui ouvre, dans le sang et la fureur, l’une des plus belles pages du cinéma de Hong Kong.

Lorsque l’on évoque les plus grandes heures du polar hongkongais, il est difficile de ne pas mentionner immédiatement le nom de John Woo. En effet, le réalisateur cantonais, évidemment pourvoyeur des très populaires À toute épreuve, est également le seul à pouvoir se targuer d’un parcours satisfaisant hors de ses frontières.

Mais durant son ascension, plutôt atypique, vers les sommets du gunfight en milieu urbain, John Woo s'est appuyé sur le talent de collaborateurs prestigieux, ou à minima amenés à le devenir. En première ligne : le producteur Tsui Hark et la future vedette Chow Yun-Fat, qui forment avec Woo le trio responsable de l’étincelle qui amorce une nouvelle révolution de la production locale : Le Syndicat du crime.

 

Le Syndicat du crime : photoTruands 2 la galère

 

SABRES EMOUSSES, POINGS ABIMES

Hong Kong, 1979. Au sortir de deux décennies plutôt flamboyantes, la superbe de l’industrie cinématographique de la colonie anglaise tend à doucement s’étioler. En cause, le déclin annoncé des deux sous-genres majeurs du cinéma d’action local. Le Wu Xia Pian (film de sabre hérité de la tradition littéraire chinoise) et le Kung Fu Pian (film de combat à mains nues) s’enlisent dans une logique d’exploitation aux soubresauts artistiques toujours plus rares. 

Mais comme souvent au cours de son histoire, c’est lorsqu’il est au pied du mur que le cinéma HK trouve un souffle inattendu, prompt à faire trembler ses bases, pour mieux les reconstruire ensuite. La tornade en question porte un nom : The Butterfly Murders

 

Butterfly Murders : photoSabrer les attentes

 

Trouvant le chemin des salles obscures en juillet 1979, ce premier film se pare, au premier abord, de tous les atours d’un film de sabre classique. Mais au fur et à mesure de son déroulé, le vernis craquèle et révèle les véritables intentions du long-métrage : les fameux chevaliers errants se montrent bien moins valeureux que prévu, et la quête des héros ne mène qu’à un absurde massacre sans vainqueur. Formellement, le film abandonne l’esthétique traditionnelle du Wuxia pour y déverser une somme d’inspirations aux relents clairement occidentaux, propulsant au cœur de l’extrême orient des images que l’on soupçonnerait issues d’un western italien ou encore d’un film d’horreur gothique. 

Derrière la caméra, le premier artisan de cette étrange fusion se nomme Tsui Hark. Le réalisateur, né au Vietnam en 1950, pose ici les bases de ce que l’histoire désignera comme la nouvelle vague du cinéma de Hong Kong. Ce courant, mené par Hark mais aussi par des cinéastes comme Kirk Wong ou Anne Hui, prendra un malin plaisir à s’emparer de la tradition cinématographique de l’archipel pour en détourner tous les codes, en y apposant un regard social assez inédit à l’échelle locale.

 


 

Alors que sa carrière prend progressivement son envol, celui que l’on nommera ensuite "le Spielberg chinois" se heurte toutefois à une problématique inamovible : celle de devoir se plier aux désirs et aux liens artistiques des grandes compagnies qui font la pluie et le beau temps au sein de l’industrie HK. Un comble pour un électron libre, déterminé à repousser toujours plus loin les limites de son art. 

C’est donc dans une logique d’émancipation absolue que Hark fonde en 1984 sa propre compagnie : la Film Workshop. Le réalisateur et désormais producteur décrit son grand projet comme un atelier pour cinéastes, un espace de liberté les éloignant du parasitage des décisionnaires des grands studios. De grandes promesses qui ne seront malheureusement pas toujours tenues. Parmi ses ambitions premières, Hark porte en lui celle de placer le film policier, genre qu’il affectionne mais au faible potentiel commercial, au sommet du box-office hongkongais.

En 1985, le patron de la Film Workshop fait la rencontre d’un cinéaste au parcours lucratif mais à la motivation en chute libre : John Woo. Intrigué par la productivité et l’œil acéré du réalisateur, Hark se met en tête de lui proposer le projet qui révélerait enfin son talent. 

 

Le Syndicat du crime : photoUn nouveau jour se lève sur Hong-Kong

 

QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON JOHN ?

Au moment de sa rencontre avec Tsui Hark en 1985, John Woo est au bout du rouleau. Apres quelques années d’apprentissage en tant qu’assistant personnel du légendaire Changh Cheh pour le compte de la Shaw Brothers, Woo s’est engouffré dans un long tunnel d’expériences insatisfaisantes, aussi bien sous l’égide de la Golden Harvest que de Cinéma City, deux compagnies majeures de l’industrie. Même si ses films font souvent recettes, les ambitions personnelles de Woo sont loin d’être atteintes. 

ionné par les films de sabre de son mentor Changh Cheh, Woo est forcé de s’illustrer dans le registre de la comédie, genre au sein duquel il s’épanouit assez peu. Avant de croiser le chemin de Hark, le natif de Canton pense mettre fin à sa carrière, lassé d’un titre honorifique de "roi de la comédie" qui ne lui sied guère. La fondation de la Film Workshop et l’opportunité offerte par Tsui Hark font figure de bénédiction divine pour le catholique John Woo, qui ne manquera pas le coche.

Pour hisser le polar (genre à l’historique commercial compliqué sur le territoire hongkongais) au rang de succès potentiel, le duo nouvellement formé élabore un stratagème simple : retranscrire les codes d’un cinéma historique et assimilé par le public (en l’occurrence le Wu Xia Pian) dans l’environnement urbain de la colonie. Hark et Woo, collaborant à l’écriture, s’inspirent également de Story of a Discharged Prisoner, polar cantonais oublié, réalisé en 1967 par Patrick Lung. 

 

Le Syndicat du crime : photoLa recette parfaite

 

HONG KONG IDOL

Mais pour que le tableau soit complet, et que le miracle s’accomplisse, il faudra la participation d’une troisième personnalité, à l’implication déterminante. Même s’il semble difficile de l’imaginer aujourd’hui, la carrière de Chow Yun-Fat a longtemps pris la forme d’un abrupt chemin de croix. Ex-vedette de la télévision hongkongaise et pur produit de l’école d’art dramatique de la TVB (la branche télévisuelle des studios Shaw Brothers), l’acteur intègre le secteur du grand écran en 1976.

Lorsqu’il ret 10 ans plus tard le casting du Syndicat du crime, Chow compte à son actif plus d’une trentaine de films, parmi lesquels des œuvres unanimement acclamées par la critique (à l’image de The Story of Woo Viet de Anne Hui), mais absolument aucun succès commercial. Les quolibets à son encontre vont bon train et l’acteur se voit meme affublé par l’industrie du surnom officieux de “poison du box-office”. 

 

Le Syndicat du crime : photoUn poison dans l'eau

 

Dans Le Syndicat du crime, il n’hérite meme pas d’un rôle principal. Car l’intrigue du film, qui s’articule autour de la destinée de deux frères séparés par les frontières de la loi (l’un est membre des triades, l’autre policier), est portée par deux interprètes aux carrières bien plus solides. Le rôle de Sung Tze-Ho, gangster en voie de repentance, est confié à Ti Lung, légende de la Shaw Brothers régulièrement créditée aux génériques des longs-métrages de Changh Cheh. Face à lui, le petit frère Kit, policier idéaliste, est incarné par Leslie Cheung, star de la Cantopop au futur destin tragique. De son coté, Chow Yun-Fat entre dans la peau de Mark Gor, truand handicapé à la suite d’une fusillade, et rejeté par ses anciens associés.

Il est intéressant de constater que la carrière des trois acteurs sera bousculée par la sortie du film de John Woo. Ti Lung, sur une pente déclinante depuis le début des années 1980, se voit accorder un second souffle en tant que régulier du polar HK. Leslie Cheung impressionne Tsui Hark, et obtient dès l’année suivante le rôle principal du succès Histoires de fantômes chinois, réalisé par Ching Tsiu-Tung et produit par Hark, qui finit d’établir sa popularité. 

 

Histoires de fantômes chinois : photoLe magnifique Histoire de fantômes chinois

 

Mais parmi ce lot d’interprètes pourtant bien fourni, c’est bel et bien Chow Yun-Fat qui récolte la majorité des louanges. Son talent éclate pour la première fois au visage du grand public de l’archipel, qui découvre son interprétation, tout en rage contenue, de combattant infirme des temps modernes. Soit un digne héritier des légendes littéraires et cinématographiques chinoises. Mais plus encore qu’àvec les spectateurs, c’est bien sa rencontre avec John Woo qui termine d’éclairer le cheminement de la future icône Chow Yun-Fat. Le réalisateur voit en Chow bien plus qu’un comédien : c'est une projection de lui-même devant la caméra, un véritable alter-ego, image de l’acteur classieux mais mutin qu’il aurait voulu être. 

La suite de l’histoire est bien connue : les collaborations suivantes du duo John Woo-Chow Yun-Fat, qu’il s’agisse de The Killer, des Associés ou d’A toute épreuve, continueront de propulser l’acteur vers le statut de star, au talent aussi bien apprecié en Orient qu’en Occident ; et vers celui d’ambassadeur majeur du cinéma hongkongais, de la trempe d’un Bruce Lee, d’un Jackie Chan ou encore d’un Tony Leung Chiu-Wai. 

 

À toute épreuve : photo, Chow Yun-FatL'incontournable A toute épreuve

 

POSE (PAS) TON GUN

Mais que se e-t-il donc en 1986 pour que le film policier emmené par ce trio miraculeux atteigne à ce point les cœurs et les esprits des spectateurs hongkongais ? Les explications sont multiples, mais la plus évidente est à mettre au crédit du réalisateur. Sous l’égide de Film Workshop, Woo est enfin débarrassé des dictats d’une industrie oppressante – une situation qui ne durera malheureusement pas – et peut enfin laisser libre cours à sa créativité débordante. Sa dernière chevalerie, mise en scène en 1979, était un brouillon en forme d’hommage. Le Syndicat du crime en est le parfait prolongement, et la forme finale du langage cinématographique embrassé par un réalisateur libéré de ses chaînes artistiques. 

En contrepoint d’une nouvelle vague qui déconstruisait méthodiquement les acquis de la production de l’archipel, le polar de John Woo fait autant preuve de déférence envers la tradition qu’il la retourne pour l’adapter à son époque, et à la réalité de tous les hongkongais. Les chevaliers aux valeurs nobles sont bien présents, mais dans le contexte d’une colonie en ébullition. Les sabres font places aux semi automatiques des gangsters, et les explosions graphiques des Wu Xia se font écho dans chaque impact des balles tirés par Chow Yun-Fat et consorts.

L’image de Mark Gor, déboulant sur les berges des nouveaux territoires pour arroser de ses douilles ses adversaires en transcendant son infirmité, renvoie directement à celle du sabreur manchot, découpant seul des légions entières d’ennemies malgré son handicap évident. En utilisant tous les codes et ressort du cinéma classique de l’Asie du Sud-Est, Hark et son réalisateur parviennent enfin à faire du polar un genre appelé à dominer le paysage cinématographique de la région, et ce pour une décennie entière. 

 

Le Syndicat du crime : photoPolar moderne à l'ancienne

 

LES LENDEMAINS PAS SI MEILLEURS

Enfin, il ne faut pas éluder le contexte géopolitique entourant la sortie du film. Lorsque Le Syndicat du crime trouve le chemin des salles, la rétrocession de Hong Kong vers la Chine continentale est annoncée depuis un an. Les craintes des habitants de la colonie anglaise sont au plus haut, et l’horizon de la démocratie et de l’indépendance financière s’assombrit. Il ne fait aucun doute qu’un long-métrage, certes violent, mais portant au cœur de son propos des valeurs antiques de fraternité et d’héroïsme exacerbé serait apte à réchauffer, 1h30 durant, les cœurs d’une population inquiète. 

L’éditorialiste Rick Baker définira ensuite ce mélange de gunfights, d’héroïsme et de chevalerie contemporaine sous la dénomination d’Heroic Bloodshed (soit le carnage héroïque en français). Un terme qui colle littéralement à la peau de ce sous-genre du polar, dont John Woo peut se voir adjuger la paternité. 

 

Le Syndicat du crime : photoVision d'Hong-Kong

 

Le succès démentiel du Syndicat du crime (à sa sortie, on estime qu’un hongkongais sur trois a vu le film) poussera la mise en chantier de deux suites. La première, simplement nommée Le Syndicat du crime 2, sera réalisée en 1987 par Woo sous l’insistance de Tsui Hark. Les deux se brouilleront définitivement, et c’est le patron de la Film Workshop lui même qui réalisera Le Syndicat du crime 3, conclusion de la trilogie, cette fois en forme de prequel. 

Œuvre ambitieuse flirtant avec le post-modernisme autant qu’hommage sincère à un héritage cinématographique défunt, Le Syndicat du crime est surtout le fruit d’un assemblage de talents miraculeux, qui ne retrouveront jamais cette dynamique ensuite. Cette entente phénoménale marque tout de même le début de la dernière grande période du cinéma d’action de Hong Kong, respiration finale avant son inexorable déclin. 

La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter

Lisez la suite pour 1€ et soutenez Ecran Large

(1€ pendant 1 mois, puis à partir de 3,75€/mois)

Abonnement Ecran Large
Rédacteurs :
Tout savoir sur Le Syndicat du crime
Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
5 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Gilgamesh_1945
Gilgamesh_1945
il y a 2 années

Quelqu’un sait il si les films de john woo de cette époque là sont sortis en blurays ? ou blurays uhd ? Même en VO sous titrée en anglais je prends…

Saiyuk
Saiyuk
il y a 2 années

@the moon
Pareil, et amplifiè une fois vue A toute épreuve, et Une balle dans la tête…

Luigi
Luigi
il y a 2 années

Le rêve: revoir Chow Yun-Fat ,un flingue à chaque main !,le cauchemar:voir Omar Sy un flingue à chaque main…

The Moon
The Moon
il y a 2 années

Ma vision du cinéma a changée après avoir vu The Killer…

Saiyuk
Saiyuk
il y a 2 années

HARK, la folie pure
WOO, le talent pure
FAT, le charisme pure
Ils ont fait le ciné HK dans toute sa splendeur, du plus barré au plus romantique, en ant par le sang..
La sainte trinité…