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Jennifer’s Body : oui, il fallait réhabiliter le film trash avec Megan Fox

Par Chloé Chahnamian
8 novembre 2022
MAJ : 24 mai 2024
Jennifer's Body : Photo Megan Fox

Mal vendu ou mal compris ? Faut-il réhabiliter Megan Fox ?

À la fin de l'année 2009, la jeune actrice Megan Fox se retrouve héroïne d'un film qui scellera son image d'actrice bimbo, après avoir joué dans les deux premiers Transformers de Michael Bay. Ignoré à sa sortie, Jennifer's Body de Karyn Kusama ne récolte que 16 millions de dollars au box-office américain, pour un budget équivalent. Le film ne trouve pas non plus son public à l'international, et au final, il n'amasse que 31 millions de dollars dans le monde. Considéré comme culte pour beaucoup, Jennifer's Body connaitra une rédemption bien tardive.

Promu comme le film qui titillera les pulsions des adolescents, Jennifer's Body ne rencontre pas son public. Tourner toute la promotion du film sur la seule présence de Megan Fox en mini-jupe n'était donc pas une bonne stratégie. Succube, tueuse d'hommes, démon avide de sang, son personnage est loin, très loin, des attentes des spectateurs masculins.

Et si Jennifer's Body, écrit par une femme (Diablo Cody, scénariste de Juno), réalisé par une femme (Karyn Kusama, Æon FluxThe L Word) et mettant en scène deux personnages féminins, était en fait un film à destination des femmes ? Film sur l'amitié féminine avec des héroïnes, badass et vengeresses, il vient doucement faire parler de lui et pour les bonnes raisons cette fois.

 

Jennifer's Body : photo, Megan FoxLoin du fantasme des hommes

 

De teen movie à rape and revenge

Horreur et adolescence ont souvent fait bon ménage. Si dans la deuxième moitié des années 90, les Buffy contre les vampires, Scream, The Craft, Charmed et compagnie ont trouvé leur public, les deux genres sont venus se mêler à nouveau autour des années 2010, qui ont connu un tas de films hybrides, pour le meilleur et pour le pire. Entre 2008 et 2011, on a eu droit à TwilightVampire Diaries et Teen Wolf, trois œuvres destinées aux adolescents qui ont incorporé des éléments fantastiques, voire horrifiques.

Sorti en 2009, Jennifer's Body se situe pile dans cette veine de films à mi-chemin entre le teen movie et l'horreur. Plus qu'un délicieux mélange des deux, il se sert de l'horreur pour décrire l'adolescence. Ce n'est pas un hasard si la première parole du film, prononcée par la narratrice Anita alias Needy (Amanda Seyfried) est la suivante : « Hell is a teenage girl », soit « L'enfer est une adolescente ».

 

Jennifer's Body : Photo Megan FoxL'enfer en personne

 

Meilleures amies depuis l'enfance, Jennifer et Needy sont toutes les deux au pic de leur adolescence, mais la pom-pom girl parfaite et la nerd à lunettes sont bien différentes et cette différence dérange. Au début du film, alors que Needy assiste à la performance acrobatique de son amie, un personnage secondaire lui fait remarquer cette incompatibilité en lui disant qu'elle et Jennifer sont forcément lesbiennes, car c'est bien connu, l'amitié entre femmes n'existe pas dans les teen movies.

Plutôt naturelle, la petite jalousie que cultive Needy envers sa meilleure amie pour la vie, ne se transforme jamais en rivalité, autre fait assez rare du film pour adolescent. Jennifer's Body pioche dans les codes et les lieux communs du teen movie, de l'opposition entre la bombe du lycée et la timide pas apprêtée au bal de promo, en ant par les discours sur les hormones, les garçons et le sexe. Mais contrairement à d'autres œuvres, le film aborde ces sujets à travers un prisme féminin. 

 

Jennifer's Body : Photo Megan Fox, Amanda Seyfried"Sois belle mais pas trop"

 

Petit à petit, Jennifer's Body se détache du teen movie pour explorer les terres du fantastique, de l'horreur et du gore. Jennifer, qui jusqu'ici semblait toujours avoir le contrôle, va se retrouver victime d'un terrible piège qui lui coutera sa vie, ou presque. Étrangement de age dans la petite ville où résident nos deux héroïnes, le chanteur du groupe de rock du moment va convaincre Jennifer de monter dans leur van. Alcoolisée, sous le choc après l'incendie qui a ravagé le bar, elle accepte.

Le groupe, voulant sacrifier une vierge pour connaître la gloire, tue sauvagement Jennifer à coups de couteau. Jennifer est ligotée et bâillonnée, son meurtre s'apparente à un viol. Malheureusement pour les petits chanteurs, Jennifer n'est plus vierge depuis le collège, comme Needy nous l'apprend en voix off. Le film devient donc un rape and revenge, ou plutôt un "kill and revenge" quand Jennifer se réveille de son agression. Transformée en démon, son seul moyen de survivre sera désormais d'attaquer sauvagement des hommes, et de dévorer leurs boyaux.

 

Jennifer's Body : Photo Megan FoxUn film pour exciter les jeunes hommes, vraiment ?

 

GIRLS GIRLS GIRLS

Si le personnage de Jennifer est au premier abord le parfait cliché de la pimbêche bien connue des teen movies, elle est surtout une adolescente victime du regard des autres qui depuis sa plus tendre enfance doit assurer sa place dans la société en correspondant aux standards dressés par celle-ci. Si Jennifer's Body semble si différent des autres films de son genre, c'est justement parce qu'il place au centre de son récit des personnages féminins qui s'affirment

En devenant un succube, Jenn, déjà très sûre d'elle, va encore plus se libérer. Démon séducteur, le succube se nourrit de l'effroi causé chez ses victimes, toutes masculines. En visant seulement les hommes, Jennifer se venge de l'agression qu'elle a subie, et se libère de toutes ces années d'oppression masculine

 

Jennifer's Body : Photo Megan FoxBFF

 

Si Needy et Jenn sont toutes les deux présentées comme des opposés, elles sont toutes les deux aussi invisibilisées. La première est sans cesse décrédibilisée et sa voix n'arrive jamais à se faire entendre, et la deuxième est toujours mise dans une case pour son physique. Si les hommes du groupe de rock pensent qu'elle est vierge, c'est parce que selon eux, il y a toujours "une petite allumeuse de ce genre". Jennifer serait donc vierge parce qu'elle ose leur offrir un verre, et donc qu'elle voudrait se donner un genre.

Mais devenue démoniaque, Jennifer n'aura plus besoin de jouer un rôle. Quant à Needy, elle aussi va s'émanciper. Contrairement à dans beaucoup d'autres teen movies, cette émancipation ne se fera pas suite à un relooking ou en retirant ses lunettes, mais en combattant frontalement le démon. Personne ne veut la croire ? Tant pis, elle fera le sale travail toute seule.

 

Jennifer's Body : photo, Amanda SeyfriedLa vraie reine de la promo

 

La particularité d'avoir une femme au scénario et une autre à la réalisation a bien évidemment eu une influence sur la représentation des femmes dans le film. Karyn Kusama ne se soumet pas au regard masculin, aussi appelé male gaze, et ne filme jamais ses personnages comme des objets. Jennifer est l'objet du désir des hommes, oui, mais elle n'est pas objectifiée par la caméra. Contrairement à l’image qu’on pourrait avoir du film, Megan Fox n’est jamais montrée dénudée.

Quand la succube se baigne nue dans le lac après avoir dévoré le pauvre Jonas, la caméra suggère sa nudité sans rien dévoiler. Ce regard féminin se ressent aussi lors de la séquence de la première fois entre Needy et Chip. Tous les deux sont filmés de la même façon, leurs corps se dévoilent à la même vitesse et jamais le personnage féminin n’est plus objectifié que le personnage masculin. Contrairement à ce que la promotion du film le laissait sous-entendre, Jennifer's Body était peut-être un film destiné aux adolescentes en pleine découverte de leur corps et de leur sexualité.

 

Jennifer's Body : Photo Megan FoxPetite brasse après un bon gros meurtre

 

Une promo en carton

Si Jennifer's Body semble tout avoir pour séduire son public adolescent, du sang, du sexe et Megan Fox, il ne récolte que 16,2 millions de dollars aux États-Unis, un chiffre égal au budget du film. Dans le reste du monde, le long-métrage ne rencontre pas non plus le succès. Au final, Jennifer's Body n'amasse que 31,5 millions au box-office mondial. Mais pourquoi un tel bide ?

La promotion du film est probablement le suspect n°1 de cette catastrophe économique et il n'y a qu'à regarder l'affiche pour se rendre compte de la grosse erreur commise par l'équipe marketing. Alors que le mensuel américain Fangoria opte pour une couverture trash pour son numéro de septembre 2009 (n°286), sur laquelle on aperçoit Megan Fox les dents acérées et couverte de sang, l'affiche officielle du film dévoile une Megan Fox en mini-jupe, histoire de bien correspondre au fantasme de "l'écolière sexy". Cette tenue n'est d'ailleurs jamais portée par la lycéenne dans le film.

 

Jennifer's Body : montageLa force du marketing

 

L'image la plus relayée est bien évidemment celle de l'actrice devant un "Hell Yes" (Putain oui), loin d'être subtil. On imagine la réaction des jeunes ados venus au cinéma pour découvrir l'actrice en jupe quand ils se sont rendu compte qu'elle dévorait des hommes. La bande-annonce originale du film insiste presque uniquement sur la sexualité du personnage et tease évidemment le baiser qu'elle échange avec Needy et sa potentielle bisexualité. Toute la promotion a donc consisté à insister sur la présence de Megan Fox et sur sa possible nudité dans le film.

Diablo Cody, la scénariste, est souvent revenue sur cette erreur de communication, mais malheureusement, elle n'a pas eu son mot à dire. Elle et Karyn Kusama ont réalisé ce film pour une audience adolescente féminine, comme elles l'ont souvent dit. En 2018, la réalisatrice a déclaré à Buzzfeed qu'elle avait répété à toute l'équipe marketing que ce n'était pas possible de tourner la promotion vers le public masculin alors que Megan Fox ne se déshabillait même pas. Suite à ses plaintes, elle a reçu "un email qui n'était même pas grammaticalement correct. La réponse était la suivante : « Jennifer sexy, elle vole ton mec ». Comme si un homme des cavernes l'avait écrit."

 

Jennifer's Body : Photo Amanda SeyfriedQuand la promo t'oublie complètement

 

Megan Fox est également revenue sur cette promotion désastreuse et a déclaré au magazine Variety "Le film parlait de ce marketing, de gens qui se concentraient sur quelque chose et aient à côté de l'essentiel, il parlait du fait de sexualiser quelqu'un qui ne voulait pas être sexualisé". Le film a rencontré de nombreuses critiques à sa sortie, notamment sur le fait qu'il n'était justement pas assez sexuel et que Megan Fox n'était pas assez dénudée.

Depuis quelques années, notamment depuis le mouvement MeToo, Jennifer's Body connait une petite résurrection et de plus en plus de médias réévaluent le film à sa juste valeur et pour ce qu'il a toujours été : un film pour l'audience féminine. Le groupe de rock est une parfaite allégorie du sexisme hollywoodien, avec ces hommes prêts à tout pour leur carrière personnelle. Actuel dans les thèmes qu’il aborde, Jennifer’s Body, dans tout ce qu’il a de méta et de féministe, aurait sans doute été un carton s'il était sorti aujourd'hui.

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Ffx
Ffx
il y a 2 années

En lisant l’article, je m’aperçoit finalement que je l’ai vu ce film. il ne m’a laissé un souvenir impérissable.

Cidjay
Cidjay
il y a 2 années

film d’horreur totalement anecdotique, ni bon, ni mauvais…
le film n’a jamais été décrié par la critique ou le public, malgré le fait qu’il n’ai pas rencontré le succès espérer…
il n’y a donc pas de réhabilitation à faire, ce film n’a jamais été concidérér comme un navet, c’est juste sympa sans plus.

Seul l’excellent single « New Perspective » de « Panic!at the Disco » est à retenir (créé spécialement pour l’occasion). (mais là c’est mon côté fan qui parle, ça ne plaira pas à tout le monde ce pop/rock mielleux.)

Ankytos
Ankytos
il y a 2 années

Je ne sais pas si cela vient de moi mais je l’ai visionné sur le tard (en dehors de l’ambiance critique de l’époque donc), pour autant, je ne trouve sa réhabilitation plus pertinente que ça. Il y a pire, certes, mais le film m’a tout de même doucement ennuyé.
Après, je suis d’accord pour dire que c’est un film qui parle des femmes plutôt aux femmes. Bonne idée mais je ne suis pas convaincu par la mise en œuvre.
Ou alors, j’étais mal luné

Madolic
Madolic
il y a 2 années

Ca fait un moment que ça réhabilitation est faite.
Il est très très bien ce film!