Et si Christophe Gans, avec Radha Mitchell en enfer, était la meilleure adaptation de jeu vidéo jusque là ?
Super Mario Bros., Double Dragon, Street Fighter, Wing Commander, House of the Dead, Doom, DOA : Dead or Alive, Far Cry, Postal, Tekken, Resident Evil... Le cinéma et le jeu vidéo, c'est une grande histoire d'amertume, truffée de pépites Z à peine dignes d'un plaisir coupable. Il y a eu de gros succès au box-office (Mortal Kombat, Resident Evil, Lara Croft : Tomb Raider, Pokémon : Détective Pikachu, Sonic le film), beaucoup de ratés, mais la machine continue à tourner.
Au milieu de ce champ de ruines, il est pourtant un film qui frôle l'unanimité : Silent Hill, réalisé par Christophe Gans, adapté des jeux vidéo cultes de Konami. Car avant la désastreuse suite Radha Mitchell était une belle démonstration d'amour, et d'ambition. Serait-ce là la meilleure adaptation de jeu vidéo à ce jour ? Possible. Probable. Voilà pourquoi.
LE PACTE DES POIDS LOURDS
Premier atout et pas des moindres : Silent Hill est d'abord un film de réalisateur, avant d'être un film de producteur. Soit le contraire de quantité de projets du genre, où le seul moteur est celui du business (exploiter une licence, lancer une franchise, foncer sans trop réfléchir).
Quand le film arrive au cinéma en 2006, l'âge d'or des jeux est déjà derrière. Silent Hill 4 : The Room est sorti en 2004, le prequel Silent Hill : Origins va arriver, suivi d'un Silent Hill : Homecoming qui marquera l'un des moments les plus faibles de la série. Mais en réalité, le projet d'adaptation est né dans les années 2000, juste après la sortie du premier jeu.
C'est sur le plateau du Pacte des loups qu'il y a la première étincelle. Après avoir joué au premier Silent Hill sur PlayStation, le réalisateur Christophe Gans en parle à son producteur Samuel Hadida. A priori peu sensible à cet univers, Hadida a du mal à croire qu'un jeu puisse être réellement terrifiant. "C'est l'une des peurs les plus absolues que j'ai jamais expérimentées durant toute ma vie", lui répond Gans, qui voit là matière à une adaptation évidente au cinéma.
Le duo doit maintenant convaincre Konami de leur vendre les droits, et ce sera un premier défi de taille, raconté par Gans à ComingSoon : "On a couru après les droits depuis le début, et on n'avait aucune réponse. On envoyait des tonnes de messages, des mails, des lettres, et rien. Et quand le deuxième jeu est sorti, j'y ai joué, j'ai été époustouflé, et encore une fois, j'ai demandé les droits, et aucune réponse. Je savais que Miramax, Paramount, Sam Raimi et même la société de Tom Cruise voulaient les droits, et personne n'avait de réponse. Donc je me suis dit que le problème n'était peut-être pas de savoir qui voulait les droits, mais comment il les demandait. En gros, j'ai donc fait une note d'intention en vidéo. Je me suis filmé en train de parler, et expliquer pourquoi je voulais à ce point adapter ce jeu, pendant 37 minutes. J'ai mis des sous-titres japonais. Je l'ai envoyée à Tokyo. Et deux mois après, on avait les droits".
Un esprit sarcastique citerait les six réalisateurs qui ont été engagés, puis dégagés du film Uncharted, pour mettre en évidence l'importance d'un cinéaste qui pilote un projet dès le départ. Et ça tombe très bien, puisque les sarcasmes sont dans la charte d'Ecran Large.
Konami face aux producteurs voulant les droits
LA TRAHISON UTILE
Deuxième point : comment et quoi adapter ? Même s'il a découvert la saga avec le premier épisode, le cinéaste français songeait sérieusement à adapter Silent Hill 2, comme expliqué à EGM en 2006 : "Ça semblait très naturel, puisque c'est le favori de tous les fans, et c'est celui qui est le plus fort d'un point de vue émotionnel. Néanmoins, ce n'était pas un vrai Silent Hill. La ville sert de toile de fond à l'histoire, mais la mythologie n'est pas vraiment traitée. Donc, on a réalisé que c'était impossible de parler de Silent Hill sans dire pourquoi cette ville est ainsi. Donc, on a compris qu'il fallait adapter le premier jeu."
Il a embarqué avec lui deux autres scénaristes : Roger Avary (qui avait collaboré avec lui sur Crying Freeman, et a gagné en popularité en travaillant avec Tarantino), et Nicolas Boukhrief (réalisateur et coscénariste de Le Convoyeur). Tous trois sont gamers, ionnés par le jeu, et conscients qu'adapter, c'est en partie trahir. À commencer par le personnage principal, Harry Mason, qui devient Rose Da Silva dans le film.
"Après deux semaines d'écriture, on a réalisé que les motivations de Harry étaient féminines, maternelles. C'était très étrange et difficile de l'écrire. Ça marche dans le jeu, mais pour un acteur, c'était bizarre. Ce n'est pas qu'il soit efféminé, mais il se comporte comme une femme. Et on ne voulait pas garder le nom, et changer des aspects du personnage. Les gens qui aiment Silent Hill sont plus intéressés par l'atmosphère que par le fait qu'un personnage porte un pantalon ou une robe."
Ce n'est pas la seule liberté prise avec les jeux (le film utilise Pyramid Head, antagoniste central du deuxième jeu), mais c'est celle qui pose le plus de problèmes. Le studio rejette ainsi cette première version du scénario, précisément pour la question du féminin : hormis le mari, uniquement présent au début et à la fin, il n'y a aucun personnage masculin, et visiblement c'est un problème. Les scénaristes ajoutent donc une sous-intrigue, parallèle au cauchemar, où Christopher recherche sa femme et enquête. Là, le studio signe.
Toute cette partie du film est gérée en quatrième vitesse, à tel point que Gans organise quelques reshoots avec Sean Bean (le coup de fil dans la voiture remplace une scène chez une archiviste par exemple). Au final, le réalisateur est le premier à reconnaître que toute cette partie alourdit le film, casse le rythme (notamment en créant l'impression que l'histoire se e sur plusieurs jours), et que tout le monde a réalisé bien trop tard que beaucoup de ces scènes auraient mérité d'être coupées.
Christophe Gans avait parfaitement conscience qu'il marchait sur une corde raide en adaptant ce jeu, et ne manquait pas de tirer à balles réelles sur les autres films en 2006, chez EGM : "C'est bien plus facile d'adapter Doom, même si c'est un désastre comme on l'a vu il y a quelques mois avec le film, que Silent Hill. Si vous voulez adapter Silent Hill, et que vous n'êtes pas prêts à traiter toute la complexité de l'histoire, c'est impossible. Pour un réalisateur paresseux, comme celui qui a réalisé Doom, Silent Hill est beaucoup trop gros à avaler. (...) Je ne ferai pas ce qu'ils ont fait avec Resident Evil : Apocalypse, où ils ont mis Jill Valentine. C'est un parfait exemple : j'adore Jill, dans les jeux, pas à l'écran. Désolé, mais ce n'est pas parce que vous habillez une fille comme elle que ça en fait le personnage." Resident Evil, produit par le même Samuel Hadida donc.
Sean ben-je-fais-quoi-là-exactement
BEAUTÉ MACABRE
Le nom des rues, la carte de la ville et des bâtiments, l'école de Midwich, les infirmières, des personnages familiers (Cybil Bennett, Dahlia et Alessa Gillespie, Lisa), la musique, ou encore l'idée d'une clé cachée dans la bouche d'un cadavre... L'amour évident du jeu est l'autre grande qualité du film, qui témoigne d'un respect confinant à l'obsession. Christophe Gans reprend même plan par plan une partie de l'intro, lorsque Rose plonge dans les ténèbres, créant un pur fantasme d'adaptation pour quiconque a tremblé avec Harry Mason dans ces ruelles.
Il suffit de comparer aux autres adaptations de jeux vidéo sorties à la même période (Resident Evil, Tomb Raider, BloodRayne, Doom, Alone in the Dark...) pour constater que Silent Hill remporte haut la main le premier prix niveau respect et fidélité. Même en prenant certaines libertés dans la mythologie (Pyramid Head est un monstre intimement lié à James Sunderland dans les jeux), Christophe Gans et son équipe n'ont jamais perdu de vue l'horizon des collines silencieuses. Même dans ses scènes les moins réussies, ou les plus banales, cet esprit demeure donc présent.
Vivement le remake de Barb Wire
À l'écran, c'est un régal pour toute personne ayant tâté du Silent Hill sur console. Des rues embrumées aux labyrinthes métalliques rougeoyants, tout semble prendre vie, jusque dans les détails des costumes de Cybil et Alessa, et certains sons très familiers. D'autant que le travail sur la direction artistique est remarquable : par exemple, le costume de Rose évolue discrètement pour finir dans un rouge sang, à mesure qu'elle descend dans les couches du cauchemar.
Et si Laurie Holden n'est pas aidée par un rôle un peu grossier (la flic très intriguée par une gamine et sa mère après une simple rencontre), l'excellente et trop discrète Radha Mitchell (Solitaire, Melinda et Melinda, The Crazies) mène l'aventure avec talent, épaulée par Jodelle Ferland et Alice Krige, parfaite dans ce rôle d'antagoniste facile.
Avec 50 millions de budget et plus de 600 plans à effets (notamment gérés par BUF Compagnie, la célèbre boîte française), les moyens étaient là. Et pour créer l'univers des enfers, Christophe Gans a rassemblé une équipe de talent, en piochant chez Guillermo del Toro (le directeur de la photographie Dan Laustsen, la costumière Wendy Partridge, le décorateur Peter P. Nicolakakos), et David Cronenberg (la chef déco Carol Spier, les directeurs artistiques Elinor Rose Galbraith et James McAteer, la directrice de casting Deirdre Bowen). Pour la musique, il a réutilisé les morceaux originaux d'Akira Yamaoka, réarrangés avec le compositeur Jeff Dana (qui sortait de Resident Evil : Apocalypse, pour la blague).
Néanmoins, tout n'a pas été rose, et les questions de budget ont obligé à quelques réécritures. Notamment le grand final, qui devait à l'origine tourner autour de six Pyramid Head (une idée reprise du jeu Silent Hill 2), massacrant tout le monde dans l'église. Mais le vrai problème est venu d'une scène plus simple : une rencontre entre les héroïnes et un monstre-tronc devant l'hôtel. Le réalisateur explique en être presque venu aux mains avec le producteur canadien, qui a imposé des économies, renvoyé le chorégraphe chez lui, et refusé de rallonger le budget pour réparer son erreur. La scène a donc été entièrement coupée, et Rose et Cybil entrent finalement dans le bâtiment en suivant des cris.
Mais le bilan est resté largement positif pour Gans. Le studio n'a fait aucun retour sur le montage, et avait dès le départ validé un Rated R. Le comité de classification, lui, n'a eu aucune remarque sur la violence. En somme, le réalisateur a pu concrétiser son film sans véritable conflit ou difficulté.
LE MUSÉE DES HONNEURS
C'est peut-être ce respect immense pour les jeux qui a fini par piéger Christophe Gans. Depuis, il est le premier à reconnaître qu'il a peut-être trop résisté aux ficelles horrifiques, déterminé à livrer un film construit sur l'atmosphère et les concepts. Le bon côté, c'est l'absence de jumpscares et autres effets bas de gamme. Le mauvais, c'est ce sentiment que le film reste aux portes du vrai cauchemar, comme si le cinéaste avait eu peur de réellement investir ces beaux décors. Le travail de reconstitution semble ainsi avoir créé un grand musée, parfois figé.
Lorsque Rose prend l'ascenseur des enfers à la fin, et croise des infirmières, c'est le début véritable de l'angoisse Silent Hill des jeux. Une angoisse qui perd le personnage dans les labyrinthes rouillés, le fait aller et venir entre des pièces toutes plus terribles les unes que les autres. À la recherche de sa destination parmi des portes numérotées, et avec l'espoir de ne pas croiser une créature qui exigerait plus de balles qu'il n'y en a dans l'inventaire. Mais dans le film, ce n'est finalement qu'une petite parenthèse.
La vraie débauche de violence viendra après, à grand renfort de barbelés numériques (en hommage à Urotsukidōji). Mais ce n'est plus vraiment Silent Hill, et c'est certainement l'une des scènes les plus faibles du film - en partie à cause des CGI, qui dénotent. Inspiré par l'horreur profonde du jeu vidéo, Christophe Gans a finalement échoué, en (grande) partie, à la retranscrire à l'écran, malgré un travail monstrueux sur la direction artistique.
Plus en surface, il y a quelques autres problèmes dans la narration. L'omniprésence du mari de Rose freine sérieusement le film (malgré une scène très poétique de brève "rencontre" entre deux dimensions), mais les flashbacks aussi. En un long-métrage, la mythologie Silent Hill a été plus éclairée, expliquée et surlignée que dans trois jeux, réduisant tout le mystère à une histoire nettement plus limpide. Trop, peut-être. D'autant que tout ça semble avoir été forcé dans le film, à l'image de cet interminable flashback où Alessa explique tout à Rose, avec voix off et effet vieille VHS.
Enfin, il y a ce plan final particulièrement curieux, dans lequel Christophe Gans filme un buisson sous la pluie durant plusieurs longues secondes, avant le fondu au noir du générique. Il a depuis défendu ce choix en commentaire audio : "Beaucoup de gens se sont posé la question, pourquoi terminer le film sur la pluie qui tombe sur le buisson ? C'est un plan très japonais en fait, pour montrer l'atmosphère interne du personnage, sa mélancolie, je fais ce qu'on appelle en japonais un 'haïku', je montre son état intérieur. C'était une manière de définir ce qu'était maintenant la vie du personnage de Sean Bean, cette attente interminable, en pensant chaque fois que sa femme est près de lui et qu'il ne la reverra jamais." Une belle note d'intention, cohérente avec la mélancolie de cette conclusion amère, mais moyennement satisfaisante à l'écran.
SILENT SUITES
La réussite largement évidente de ce Silent Hill est d'autant plus belle que le ratage de la suite est immense. Lancé sans Christophe Gans, à l'époque occupé sur un projet finalement annulé, Silent Hill : Revelation 3D a par la suite perdu le scénariste Roger Avary, indisponible pour des problèmes judiciaires. Entre alors en scène la réalisatrice et scénariste M.J. Bassett (Solomon Kane), chargée de transposer le jeu Silent Hill 3 avec Heather.
Cette abomination, qui échoue autant à adapter Silent Hill qu'à satisfaire une personne sensée ayant un peu le goût du cinéma, a été un échec relatif - budget réduit de moitié, et box-office également. De quoi enterrer la saga... jusqu'à ce que Christophe Gans revienne.
En 2020, le cinéaste a ainsi annoncé qu'il planchait sur deux adaptations de jeux vidéo avec Victor Hadida : Project Zero, et Silent Hill, à nouveau. "Le projet sera toujours ancré dans cette ambiance de petite ville américaine, ravagée par le puritanisme. Je pense qu’il est temps d’en faire un nouveau." Le tournage de Return to Silent Hill est bien prévu en 2023.
Est-il permis de rêver, ou de se préparer à une nouvelle déception au cas où ce nouveau Silent Hill ret le cimetière des projets abandonnés de Gans (Fantômas, Vingt mille lieues sous les mers, Rahan, Tarzan, ou encore Corto Maltese) ? Sachant que le dernier jeu en date, Silent Hills, a lui aussi été annulé en cours de route, il y a de quoi se dire que la malédiction est réelle. À moins que ça ne soit une bénédiction, qui évite au monde d'avoir droit à une saga partant en vrille, jusqu'à perdre son âme (noire).
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j’ai pas les 2 euro frere
@Lulu
et bien elle joue dans au moins 1 production par an (ciné et télé). Bon forcément là, elle a 26 ans maintenant.
et si vous aimez silent hill mais n’avez pas vu l’échelle de Jacob, bah allez regarder l’échelle de Jacob avec Tim Robbins
j’avais bien aimé Silent Hil, la photographie notamment et l’ambiance visuelle plus globalement. Après, au risque de recevoir des pavés et des tomates (mai peu importe), j’avais beaucoup aimé Warcraft et espérais sincèrement une suite racontant en partie l’histoire du roi liche …
Oui.
Et un des seul film où Sean Bean ne meure pas à la fin.
C’est quelque chose, quand même.
@Gerad d’où le terme « adaptation » .
Personnellement,ce film je le revoit de temps en temps, un petit plaisir pour moi,l’ambiance du film, l’actrice principale et le bestiaire y sont pour beaucoup je pense .
Je me demande ce que devient Jodelle Ferland, petite elle était dans pas mal de productions horrifiques et là plus rien c’est dommage.. Comme un tas d’enfants stars malheureusement me direz vous.
Meilleure adaptation ? Personnage principal du jeu un homme, personnage principal du film une femme.
Pas d’accord du tout, pour moi le film silent hill est vraiment mauvais et surfait. Y a pourtant un film qui n’a pas la prétention d’etre une adaptation de silent hill en film, qui se rapproche bien de l’esprit du jeu video, c’est « wounds » qui a été diffusé sur netflix.
Film que j’avais bien apprécié également, sauf la fin. Une atmosphère bien retranscrite !