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L’Appel de la forêt, The Revenant, Jack London au cinéma, un héritage épique et incompris

Par Simon Riaux
22 février 2020
MAJ : 21 mai 2024
Call of the Wild : photo, Harrison Ford

Romancier américain parmi les plus connus et les plus lus, Jack London est de nouveau sur le devant de la scène, avec la sortie en grande pompe de L'Appel de la forêt.

Célèbre pour ses récits d’aventures, souvent décrit comme un auteur s’adressant à la jeunesse, dont le nom est accolé à des classiques tels L’Appel de la Forêt et plus encore Croc-Blanc, l’écrivain pourrait er pour un chantre de l’épopée animalière, un Robert Louis Stevenson à poil lisse, spécialisé dans le Grand Nord. Mais comme son homologue écossais, ses créations vont bien au-delà de ce qui les caractérise d’ordinaire.

Alors qu’Harrison Ford et un gros toutou numérique entendent nous emmener à travers les étendues sauvages du Yukon, regardons comment Jack London a inspiré le cinéma américain, mais aussi les aspects que ce dernier oublie souvent, parfois déé par un auteur éminemment politique, au discours aujourd’hui encore assez subversif et implacable vis-à-vis de la société occidentale.

 

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WELCOME TO HIGH ADVENTURE

Voleur d’huîtres dans la baie de San Francisco, chasseur de phoques puis aventurier au Nord, London sera souvent décrit comme un vadrouilleur ayant couché ses mésaventures sur le papier. Une démarche qui va logiquement trouver écho à travers la mythologie de la Nouvelle Frontière, consubstantielle de la perception de l’Amérique par les Américains. De même, ses récits d’errance, notamment sur le rail, trouveront un nouvel écho avec l’avènement de la Beat Generation, évidemment encline à se retrouver Sur la Route.

Le cinéma s’emparera de l’emblématique Croc-Blanc dès 1925, dans un film réalisé par Laurence Trimble, quand D.W. Griffith sorti en 1908 n’ayant pas de lien avec le roman éponyme). Ces deux films vont préfigurer les adaptations de London et leurs dérivés. Car si l’écrivain n’a pas engendré une pléthore de transpositions, son portrait de l’homme solitaire, d’une nature menacée de corruption par la civilisation et du déement par l’aventure, va irriguer le 7e Art.

 

photo, Ethan HawkeCroc-Gnangnan

 

Au grand dam de London lui-même, ses romans seront, de son vivant, considérés comme des chroniques d’un individualisme triomphant, salvateur. Il s’en désolera, et il eût probablement réagi de même en découvrant l’essentiel des longs-métrages adaptés de son œuvre. Jusqu’au Croc-Blanc produit par Disney en 1991, qui va achever de cristalliser cette image d’aventure positive, se construit une idée de l’auteur en chantre d’une épopée éminemment américaine.

 Ainsi, pour ionnant que soit Into the wild, basé sur un fait divers bien réel, mais dont l'adaptation trouve ses racines dans les textes de London.

 

photo, Ernest BorgnineDevenir Empereur du Nord, c'est un peu usant

 

ANTISOCIAL, TU PERDS TON CARQUOIS

Et peu importe que le film de Randal Kleiser soit bien peu fidèle au récit original, qu’il en gomme les aspects les plus complexes ou les plus dénonciateurs, puisque critique et public tombent d'accord pour lui faire un triomphe, qui sera prolongé de nombreuses années grâce au marché vidéo et d'innombrables rediffusion télévisées. C’est bien cette vision positive, simpliste, souriante de London qui s’impose. D’où vient ce malentendu ? Peut-être d’une double nuance de positionnement qui a rendu ses écrits compatibles avec une certaine esthétique du grand récit américain.

Si Jack London est un auteur d’obédience marxiste (il sera révéré aussi bien par Trotski que Lénine, ce dernier tenant la nouvelle Construire un Feu pour un terrible réquisitoire contre l’individualisme et ses conséquences mortifères), il appartient à un courant particulier, parfois qualifié de marxisme darwinien. Les rapports de domination et la perception du capital y sont similaires au marxisme pur sucre, mais plutôt que l’égalitarisme, London voue un culte à la force, à la transcendance par l’aventure, qui permet de s’émanciper de la corruption de la société capitaliste.

 

photoL'Appel de la Forêt, version 1935

 

Une logique qui le rend d’autant plus compatible avec les récits d’épopée américains que ses romans et ses essais assument un racisme qui place les blancs au sommet de l’entreprise humaine. La grandeur par l’exploration, l’élévation par le voyage, une exaltation toute caucasienne, voilà qui facilite l’effacement d’une pensée pas loin d’être révolutionnaire.

Ajoutons à cela l’héritage culturel de l’adaptation des John Ford, 1947) qui sépare un capitalisme de grandes corporations et celui perçu comme plus noble et individuel, des citoyens qu’elle menace d’écraser. On comprendra alors que le message politique de l’écrivain ait été si aisément soluble dans la culture dominante de l’époque. Pourtant, Jack London ne s'est jamais caché de ses opinions, comme le rappelle un duo de romans comptant parmi ses plus importants.

 

photo, Omar SyOmar Sy et la pelle de la forêt

 

UN TERRITOIRE DE LOUPS

Par delà les récits d'aventures de part et d'autre du Klondike, Jack London aura livré deux textes majeurs. Le premier, Le Talon de Fer est un véritable pamphlet contre la société industrielle et capitaliste, ainsi que la première dystopie littéraire.

On y suit le parcours d'un activiste de gauche, tentant d'éveiller les consciences à travers des États-Unis presque intégralement privatisés, sous la coupe de corporations autoritaires, lesquelles sont parvenues à soumettre la dernière poche de résistance communiste, connue sous le nom de "Commune de Chicago". Le quasi-oubli dans lequel est tombé le roman, en dépit de son aspect novateur (l'auteur presque inventé un genre à lui seul) aurait de quoi désoler s'il n'était pas parvenu à réinjecter ces thématiques dans l'ouvrage qui restera son grand classique.

 

Martin Eden

 

Il s'agit bien sûr de Martin Eden, biographie fictive d'un écrivain ouvrier, qui pour les beaux yeux d'une jeune femme brillante, tombera dans un individualisme qui caa finalement sa mort par suicide.

Une disparition qui préfigure celle de l'écrivain en 1916. Perçue comme un éclatant destin brisé, la réception du texte désespère le romancier, qui estime y avoir peint une fresque de cette époque qu'il combat, de ses préceptes politiques qu'il arbore et de la violence avec laquelle ils pervertissent, broient et tuent les innocents. Ce n'est sans doute pas un hasard, si l'oeuvre sera adaptée avec brio non par des Américains, mais des Européens, à l'occasion de la transposition transalpine de Martin Eden, présentée en 2019 au Festival de Venise.

 

photoConstruire un feu ou péta du Loup ?

 

Toutefois, on aurait tort de croire que personne n'a souhaité prendre en charge l'héritage de London. Celui qui l'a fait avec le plus de panache est peut-être Alejandro González Iñárritu donnant l'impression d'avoir voulu restaurer à London toute sa radicalité.

Bien sûr, on ne se désolera pas de voir des productions comme L'Appel de la forêt faire perdurer le nom de l'artiste et cette mythologie d'un Grand Nord en forant d'invitation au voyage, à la retraite. Mais l'occasion était trop belle de rappeler combien les créations de Jack London se déploient au-delà de leur évidente aura de récits initiatiques pour la jeunesse.

 

photo, Leonardo DiCaprioL'appel de la Forêt hardcore ?

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Ben
Ben
il y a 5 années

Moi, ce qui me fait marrer, sur l’affiche française c’est le sous-titre : « d’après la célèbre histoire ». Même pas foutu de citer Jack London……