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Mountainhead : critique de la fin du monde de la tech sur HBO Max

Par Jacques Laurent Techer
2 juin 2025
Depuis que Glengarry dystopique, un grand film sur la fin du monde racontée par ceux qui l’ont provoquée. L’idée, incontestablement, est brillante. Le résultat final l’est un peu moins. Disponible sur MAX depuis le 31 mai 2025.
© HBO Max

Downhill version huis clos

Jesse Armstrong sait installer un climat, aucun doute possible là-dessus. Le chalet où se déroule le film, surnommé Mountainhead, est un pur fantasme d’architecte contemporain. Bois clair, verre sans rideaux et isolement total du reste du monde, la construction paumée dans les montagnes réduit le monde extérieur à des alertes sur smartphone et à quelques images sur des écrans de télé. Si on comprend très vite que la planète est en feu et à sang, avec des pandémies, des soulèvements populaires, les krachs qui s’enchaînent et la menace d’IA devenues incontrôlables, à 3000 mètres d’altitude, tout est calme.

Le chalet de Mountainhead crée une fausse paix, et donne à ses hôtes une illusion de contrôle sur un monde qui vacille. Armstrong joue habilement avec les espaces pour mieux enfermer ses personnages. Les pièces sont grandes, mais les plans sont serrés. Les fenêtres sont ouvertes sur le vide, mais les personnages se referment sur eux-mêmes. Chaque repas, chaque réunion improvisée devient un théâtre de tensions latentes.

Presque l’Overlook Hotel

Les quatre puissants qui y résident sont des visionnaires complètement mégalos, non pas terrifiés par la fin du monde, mais par le fait de devoir faire face à leurs relations avec les autres. Randall Garrett (Ramy Youssef) sont coincés dans des relations factices, basées avant tout sur l’usage que les uns pourraient faire des autres, sur un fantasme d’oligarchie et aussi sur la crainte que l’un d’eux puisse prendre l’avantage (financier, politique, technologique).

Alors qu’au départ tout ceci ne devait être qu’un séjour entre quatre « amis » à Mountainhead, à mi-chemin entre une opération de team building et l’occasion de savoir où se situe chacun de ses concurrents sur l’échelle sociale mondiale, l’ambiance devient de plus en plus anxiogène. Les bruits lointains, les notifications sur écran géant, les messages sur smartphones construisent peu à peu un malaise dans ce climat feutré. Autant de signaux de la fin du monde, que les quatre Tech Bros ignorent, parce que le plus important, c’est tout de même de s’enfiler des bières entre potes en s’envoyant les meilleures punchlines possibles au visage.

Des réactions extrêmes face à la fin du monde (non)

Retour à Cold Mountainhead

Ce sont dans les dialogues vifs, souvent drôles, toujours acides que l’on reconnaît la patte de Jesse Armstrong. Les répliques claquent comme des coups de fouet, les personnages s’envoient des piques avec un naturel déconcertant. C’est efficace, c’est brillant, parfois jouissif (on pense au lunaire échange « Des gens sont en train de mourir ! Faux, une tête n’explose pas comme ça »). Certaines scènes rappellent les meilleurs moments de Succession, quand le langage devient une arme, une façon de marquer son territoire ou de blesser sans laisser de trace.

Sauf qu’à vouloir faire le malin, on finit par avoir l’impression que Mountainhead prend trop de plaisir à se regarder parler. On sent que chaque ligne a été ciselée pour avoir un maximum d’impact, parfois au détriment du naturel. Trop de phrases semblent pensées pour sonner comme un tweet assassin ou pour finir écrite sur un T-shirt. Si l’effet est grisant au début, il s’use peu à peu. On finit par percevoir le mécanisme, la volonté d’être « trop » impactant, trop immédiatement récité, comme les dialogues de Kaamelott, répétés et débités ad nauseam.

Ce trop-plein d’ironie permanente construit peu à peu une distance gênante et empêche l’émotion de vraiment s’installer. Car derrière ces mots affûtés, on perçoit bien des moments de sincérité, des fêlures chez les personnages. Sauf que chaque trouble, chaque doute est immédiatement désamorcé par une punchline. Fort heureusement, les performances brillantes des quatre acteurs principaux suffisent à sauver tout l’intérêt de Mountainhead. L’alchimie malaisante qui existe entre ces nouveaux maitres du monde vaut à elle seule le détour.

Laids Loups de Wall Street

Kings of the hill

Car s’il y a bien un domaine où Mountainhead ne faillit jamais, c’est bien celui des performances. Steve Carell, Jason Schwartzman, Ramy Youssef et Cory Michael Smith forment un quatuor d’une intensité rare. Et chacun incarne son rôle de parodie/satire des magnats de ce monde (on perçoit du Jeff Bezos, du Elon Musk, du Tim Cook ou du Tom Pickett dans ces icônes) avec une aisance presque troublante.

sCarell est impressionnant en patriarche déconnecté, ancien capital-risqueur rongé par un cancer incurable et par une foi aveugle dans le transhumanisme. Schwartzman, pseudo gourou new age raté totalement illuminé, est le propriétaire de Mountainhead, devenu multimillionnaire grâce à une application de méditation « Slowzo », et complexé car il reste toujours à la porte des clubs ded milliardaires.

Les anti-Marx Brothers

Cory Michael Smith est Venis Parish, magnat des réseaux sociaux et propriétaire de Traam, plateforme responsable de la propagation de deepfakes déstabilisant le monde entier. Glaçant en créateur d’IA messianique, il est l’incarnation même d’une intelligence sans morale. Quant à Ramy Youssef, il est le vilain petit canard de l’affaire, puisque son personnage de Jeffrey Abredazi, a fondé « Bilter », une entreprise d’IA spécialisée dans la vérification des faits, devenu la cible de ses pairs en raison de ses scrupules éthiques.

Ces quatre acteurs sont si présents et occupent tellement l’espace qu’ils finissent par cannibaliser la place de Jesse Armstrong lui-même. Le film devient rapidement une joute à quatre où chacun veut la scène la plus marquante, jusqu’à presque devenir une performance théâtrale, voire un « four men show ». Et on finit par se demander si Armstrong n’a pas oublié la trame narrative principale de son long-métrage.

Mes meilleurs ennemis

La montagne magique

D’après les informations de Variety, Mountainhead a été tourné en un temps record (une douzaine de jours) au fin fond de l’Utah, dans une petite station de sports d’hiver. Et on a l’impression que ces conditions de tournage extrême ont poussé le film à préférer la rapidité à la réflexion. C’est sans doute le vrai talon d’Achille de Mountainhead, car il veut tout dire, et ne prend le temps de cre presque rien.

Armstrong veut démonter les mythes de la Silicon Valley : la méritocratie, la foi aveugle dans la technologie, l’illusion d’un monde meilleur par l’innovation permanente. Il veut aussi parler d’un monde en crise, en abordant la montée du complotisme, la défiance envers la science, l’obsession de l’immortalité, les bunkers pour ultra-riches, les IA qui écrivent nos histoires à notre place… Le problème, c’est qu’aucun de ces sujets n’est vraiment traité en profondeur.

Milliardaire au bord de la crise de nerfs

Mountainhead a préféré la rapidité à la réflexion, mais il est loin d’être un ratage. C’est un film élégant, vif, porté par des comédiens en état de grâce et par un auteur qui sait mieux écrire que la plupart de ses contemporains. Il est donc d’autant plus amer de constater que le film semble s’auto-satisfaire de son intelligence, comme un élève brillant mais paresseux, qui refuse de rendre une copie complète, estimant que le strict minimum lui suffira pour obtenir une bonne appréciation.

On sort du film avec la tête pleine de moments géniaux, de phrases assassines, de regards lourds de sens, de scènes de pure tension. Mais on peine à y retrouver une vision claire, une émotion durable, un propos qui nous poursuit après le générique. Mountainhead est une satire brillante sur le papier, qui loupe de peu le coche du mémorable parce qu’il a trop misé sur ses acteurs, et pas assez sur l’immense talent de son auteur.

Mountainhead est disponible sur Max/HBO Max depuis le 31 mai 2025 en

Rédacteurs :
Résumé

Huis clos stylisé, souvent jubilatoire grâce à son quatuor d’acteurs brillants, dont la charge critique manque de profondeur, Mountainhead est une satire brillante sur le papier, mais un peu creuse dans son exécution.

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Joey Joe Joe Jr Shabadoo
Joey Joe Joe Jr Shabadoo
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il y a 5 jours

Vu en VOSTO et effectivement, le niveau de langage et les punchlines qui s’enchainent, c’est corsé.
.
Le film manque certes de profondeur, mais il a le mérite de montrer une chose essentielle : les magnats de la tech sont des clowns pathétiques, déconnectés du reste de l’humanité par un niveau de pouvoir bien trop élevé pour n’importe quelle personne. Zuck, Besos et cie se comportent d’ailleurs tous de façon aussi abjecte dans la réalité.
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Tout ça a beau être une fiction, ça nous rappelle que les monstres, ça existe