AVE MARIA ANGELINA
Avec Maria, le programme était presque trop évident : la fin d’une diva, la mort d’une femme et la consécration d’un mythe, car si Maria est morte, La Callas, elle, lui a survécu. À moins que – autre formule ampoulée en vue –, le film veuille démontrer que La Callas a tué Maria comme Marilyn Monroe a tué Norma Jean ? Mais pas la peine de commencer à philosopher sur l’aliénation de la célébrité et la dissociation de l’identité (ce dont le film se moque d’ailleurs gentiment au détour d’une réplique). La vraie star du film n’est ni Maria ni La Callas ni même l’opéra, mais bien Angelina Jolie.
L’actrice n’a pas attendu 2025 pour montrer l’étendue de son talent. Elle était déjà brillante dans Anatomie d’un top modèle, Une vie volée ou L’Echange, mais elle n’avait pas encore eu un tel espace pour exister et expérimenter son jeu, dont elle explore ici les nuances et les contradictions comme jamais auparavant. La Maria d’Angelina Jolie devient ainsi une sorte de Venus de Milo, une beauté figée, parfois glaciale que rien, pas même la pire paire de lunettes à double foyer, ne peut abîmer.

Elle est cette figure préfabriquée, fantasmée, à la grâce tellement surjouée qu’elle en est devenue naturelle, aussi bien dans son port de tête majestueux, ses gestes lents et précis, que sa façon de sourire comme si le monde l’ennuyait. Elle se comporte comme si les gens ne regardait qu’elle, comme si un appareil photo pouvait se déclencher à tout instant et qu’il lui fallait toujours garder son meilleur profil.
Elle dégage de fait quelque chose d’attirant et d’inconfortable, entre le détachement et l’anesthésie (à l’image de ses interractions avec ses domestiques ou de l’annonce froide de sa mort). Seul le chant et quelques souvenirs choisis parviennent à réveiller ses émotions (positives comme négatives), à faire craqueler le vernis. Et seul le chant, couplé à une entrevue dans un café touchante de simplicité, parviennent à réchauffer ce récit volontairement mortifère.
Ce n’est d’ailleus pas tant le travail sur sa voix qui impacte, aussi impressionnant soit-il, mais ses légers déraillements, les trahisons de l’âge et de la maladie. On peut donc effectivement parler de rôle à Oscar, même si la tournure est un peu moqueuse, ou plus « simplement » de rôle souverain dans sa filmographie.

FAUX BIOPIC
Pour Angelina Jolie, Maria est donc un boulevard, mais pas du crépuscule. La relecture était pourtant tentante, entre l’icône vieillissante qui refuse de voir son talent l’abandonner, le domestique intime et nostalgique, ainsi que la grande demeure où s’amoncellent les reliques d’une carrière ée (dont ces dizaines de bustes en platre qui la scrutent). La Maria de Jolie a bien quelques traits communs avec Norma Desmond mais Pablo Larrain s’éloigne radicalement de Billy Wilder.
Maria ne narre pas une descente aux enfers traditionnelle, encore moins une spirale délirante dans laquelle s’enfoncerait la protagoniste. Tout le film tourne autour d’un paradoxe, celui d’un dérapage contrôlé et d’une folie consciente, sans qu’on ne puisse jamais déterminer si ce lâcher-prise lui porte préjudice ou la libère d’un poid.

Comme son personnage qui reste insaisissable d’un bout à l’autre, il est difficile en tant que spectateur de sonder son rapport à la réalité ou au temps, qui oscille entre le délire et le rationnel. Le film, lui, ne fait pas dans le mystère : la nature des journalistes est révélée d’emblée et la temporalité ne s’embrouille jamais; le présent en couleurs, le é en noir et blanc, comme pour mieux renforcer le décalage.
Maria est un autre oiseau en cage après Jackie Kennedy et Diana Spencer. Toutefois, Larrain refuse tout misérabilisme et victimisation, superposant cette volonté à la fierté de la chanteuse. Autant dire qu’on est loin d’une version américano-chilienne de La Môme (et c’est une personne qui aime beaucoup La Môme qui l’écrit).
Maria Callas écrit son autobiographie, c’est donc indirectement elle qui structure la narration avec des pièces choisies, des moments déformés et idéalisés pour qu’elle garde le beau rôle et la tête haute malgré les humiliations, que ce soit avec l’officier SS, JFK ou son propre mari.

Le film superpose ainsi les scènes invraisemblables et théâtrales : elle envoie balader le président des Etats-Unis, chante devant une salle vide sous le regard émerveillé d’un projectionniste, puis chante une dernière fois à sa fenêtre avant de s’écrouler comme si elle mourrait sur scène. Tout n’est qu’un fantasme, une plongée dans l’intime pétrite de non-dits (sa soeur est-elle seulement vivante ? Le serveur du café lui a-t-il seulement parlé ?).
De fait, les flashbacks sur sa vie ne sont pas contextualisés, ou à peine. Il n’y a pas de date pour se situer dans le temps, pas de présentation en bonne et due forme des personnages, seulement des allusions en guise d’explications et beaucoup de trous. Il s’agit donc d’un affrontement perdu d’avance entre le fond, que Callas refuse d’aborder, et la forme sur laquelle elle a tout misé, à l’exception de quelques détails de mises en scène qui grattent subtilement la peinture : une sonnette d’appel médical et un cendrier qui parasitent ce qui pourrait être un tableau de femme endormie.
En résulte une sorte de roman-photos ou de publicité géante, un film majoritairement artificiel, sans trop d’énergie et souvent proche de la catatonie. Le résultat est âpre, mais l’intention n’en est pas moins fascinante.

Je sors de ma séance.
Ce film entre directement dans mon Top 2 des meilleurs biopics.
Je vous res totalement dans votre critique. Qu’est ce qui est vrai, qu’est ce qui est fantasmé, qu’est ce qui est travesti.
Et Angelina Jolie est juste magistrale. Une vraie claque tant son jeu, son charisme et sa beauté sont mises en valeur. Elle est vraiment une très grande actrice. Et cette scène finale. Quelle maîtrise de bout en bout
Je suis ressorti du ciné tout ému et en larmes. Chose qui m arrive rarement.