Let’s twist again
Sur le papier, Another End souffre de thématiques déjà trop traitées, et surtout déjà trop traitées de cette manière. On ne peut pas demander à l’espèce humaine d’arrêter de produire des œuvres qui parlent de la mort et du deuil, mais le film de Messina trouve tout de même beaucoup (beaucoup) d’échos avec certains films récents. Le postulat de l’histoire n’est pas sans rappeler celle d’Archive, film de science-fiction sorti en 2020 dans lequel un homme tentait de redonner vie à sa femme à travers l’intelligence artificielle et la robotique.
On en retrouve même l’accident de voiture comme cause de la mort, ainsi que le déroulé de moments clefs de l’histoire. On pense également au film Replicas sorti en 2018, et quand on tire le fil d’un homme prêt à toutes les aberrations pour ressusciter sa bien-aimée, on en arrive même au Frankenstein de Kenneth Branagh. La différence majeure étant qu’Another End prend place dans un cadre beaucoup plus réaliste et contemporain, ses touches de science-fiction restant très discrètes bien que fondamentales et lui donnant plutôt un air d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind.

Et pour parfaire cette impression de déjà-vu, les personnages à la caractérisation sommaire et cliché ne sont pas en reste. Entre la femme dans le frigo dont le spectre fascinant plane sur toute l’histoire, l’homme romantique torturé qui ne vit qu’à travers son deuil et la strip-teaseuse magnétique mais un peu paumée qui se laisse poliment importuner, on a droit au combo gagnant des films d’amour et d’auteur qui s’auto-contemplent avec complaisance dans leur peinture finalement restreinte de l’âme humaine.
Mais ce n’est pas fini, puisque non content de cocher déjà toutes les cases de la caricature de son genre, Another End se permet même de terminer sur un twist qui fera rouler jusqu’au cerveau les yeux de ceux qu’il n’arrivera pas à émouvoir. Dur. Et pourtant.

Une belle Ava-ture
Et pourtant… non, Another End n’est pas un film raté, loin de là. Il est même un très bon exemple de la façon dont l’interprétation, la mise en scène et la réalisation en général peuvent littéralement sauver un scénario voué au ridicule. La photographie de Fabrizio La Palombara réussit le pari de plonger les personnages dans une atmosphère souvent réaliste et grise, mais aux instants de couleur fantastiques, et qui fait surtout constamment sentir la bascule de notre monde dans un futur palpable, insaisissable mais déjà là.
Et si la séquence n’a, narrativement, rien de bien originale, le travail du chef opérateur transforme complètement la portée du moment où Sal engage Ava pour une lap dance. La jeune femme traverse un couloir noir constellé de points lumineux, tandis qu’elle est elle-même invisible dans l’obscurité mais vêtues d’une combinaison également couverte de points lumineux.

L’effet, pourtant simple, qui laisse deviner les mouvements de sa silhouette dessinée par la multitude de petites étoiles, est saisissant. Il parle en une image de ce fantôme féminin éblouissant qui aveugle Sal et qui pourrait (peut-être ?) se réincarner dans le corps de cette autre femme.
De manière générale, la mise en scène est douce, élégante et intime, la caméra venant comme caresser les personnages baignés à la fois de souf et d’amour. Elle a à la fois la beauté et la pudeur qu’il fallait pour contrebalancer l’épaisseur du scénario, si bien que l’ensemble fonctionne étonnamment bien, et qu’on se laisse piéger par sa dimension un peu tire-larmes.

Ce n’est qu’un adieu
Mais l’atout majeur du film reste évidemment ses deux acteurs principaux. Comme toujours, Gael García Bernal est parfait de sensibilité à fleur de peau, et peu d’acteurs peuvent se targuer de jouer le sentiment amoureux avec autant de vérité que lui. En face, Renate Reinsve, que plus rien n’arrête depuis Julie (en 12 chapitres), est toujours aussi juste et charismatique, et la manière dont elle alterne entre la personnalité lumineuse de la défunte Zoe et la mélancolie de la bien vivante Ava fait accepter sans broncher bien des situations.

Another End pâtit de ses ficelles trop grosses qui l’empêchent d’être un grand film. urtout si on ajoute à ça quelques incohérences et facilités d’un côté (pas facile de faire tenir debout cette histoire de personnalité qui survit après la mort sur un disque dur, qui a, à la fois, tout de la véritable personne mais qui n’est pas vraiment elle, qui est censée n’être qu’une projection de la personne endeuillée mais qui semble pourtant développer une volonté propre) et une résolution un peu trop rapide de l’autre, mais on lui pardonne finalement bien des choses.
Ce qui demeure du film est un sentiment de grande poésie et une capacité à émouvoir profondément, même au moment où la part rationnelle du spectateur lui commanderait de soupirer d’agacement. Le twist est ultra-rabâché et d’une facilité déconcertante ? Oui, mais il est amené avec tellement de sincérité dans le ton et l’interprétation qu’on choisit, même si c’est un peu trop consciemment, d’y adhérer.

C’est quoi le twist ? La flemme de me taper un film tire larme mais je suis curieux maintenant ^^