Retour en enfance
Rapture a été tourné dans la région du Meghalaya, au nord-Est de l’Inde, pas très loin de la frontière du Bangladesh. Le réalisateur a lui-même grandi dans l’une des tribus qui la peuplent et il raconte ici ses souvenirs d’enfance les plus marquants. Comme son personnage Kasan, jeune pris à partie par ses camarades, il était atteint de cécité nocturne, mal qui empêche de voir la nuit. De la peur qu’il ressentait à l’époque, en vérité également liée à l’attitude d’un village terrifié par les étrangers, il a tiré un besoin de catharsis artistique qui fait toute l’originalité de son oeuvre.
Un exercice autobiographique assumé, qui semble se retenir en permanence de fictionnaliser le é du metteur en scène. Rapture n’est pas l’une de ces fables vécues à hauteur d’enfant. Si Kasan fait office de fil rouge, il ne constitue pas plus un personnage principal que les autres habitants du village. Village dans lequel la caméra ère lentement, immergeant le spectateur au sein d’un quotidien avant tout sensoriel. Sangma relate ses souvenirs comme il les ressasse : grâce à un flux d’images évocatrices, surprenant par accident un acte marquant pour le jeune garçon… et le reste de sa communauté.
Déroutante dans un premier temps, l’expérience tend à nous faire éprouver l’isolement, moins spatial que culturel, des autochtones. Au fil des longs plans nocturnes, pour certains splendides (la procession !) et tandis que le son naturaliste emplit les canaux audio, le modèle du scénario classique se délite pour laisser place à un agrégat de témoignages visuels disparates, parfois carrément surnaturels, collés ensemble pour finalement raconter une histoire très angoissante.
Chez nous
Le prêcheur charismatique pervers, les jeunes premiers, les secrets, les tensions. A travers cette suite de souvenirs vaporeux, les personnages, les situations et les problèmes prennent le temps de se manifester, comme on met du temps, enfant, à comprendre les tenants et aboutissants de notre environnement. Le spectateur est donc invité à assister non pas à une mésaventure de jeunesse, mais à la prise de conscience que représente la réalisation de ce film pour le cinéaste.
Tout comme lui, on reconstruit une mémoire grâce au montage précis des différentes scènes, lesquelles révèlent parfois non sans ironie la vraie nature de ce qui se joue. Tout comme lui, on réalise la particularité de cette tribu : autrefois lieu de age de missionnaires européens, elle est de foi chrétienne, mais toujours très concernée par la tradition du chamanisme. Une hybridité qui finit par encloisonner les personnages dans un communautarisme assez vicieux. Tout comme lui, enfin, au détour d’un travelling, on se prend à démystifier l’autarcie du village, pas si loin des mégalopoles du coin. Jusqu’à un ultime plan brut de décoffrage tourné au drone, achevant le mysticisme ambiant.
Sorte de flux de conscience cinématographique, Rapture aurait de toute évidence ravi l’équipe des Cahiers du cinéma à l’époque de la théorie des auteurs. Pas étonnant d’ailleurs que Sangma cite les Notes sur le cinématographe parmi ses livres de chevet. Appliquée à un microcosme particulièrement lointain pour les Occidentaux que nous sommes, l’approche donne donc raison au magazine sur un point : c’est bien en exprimant une perception on ne peut plus personnelle que ce genre de films ouvre au monde.
Merci pour cette critique intéressante à lire, pour un film qui l’est tout autant à visionner pour qui rentre dans son ambiance. Et visuellement, c’est superbe.