Un remake fidèle
Dans les cartons depuis 2017, The Agency a pris son temps pour exfiltrer Le Bureau des Légendes. Elle en a profité pour peaufiner son profilage et colle fidèlement à la première saison de son modèle, dont elle calque les arcs narratifs : un agent disparu, une nouvelle recrue chargée de s’infiltrer en Iran, la difficulté de Malotru/Martian à abandonner sa fausse identité…
Le déroulé de certaines péripéties est rafraîchi sous la plume des britanniques Jez Butterworth et John-Henry Butterworth, deux frères récompensés pour leur travail sur Fair Game en 2010. The Agency n’en dévie pour autant jamais des lignes de force de l’originale, dont elle respecte scrupuleusement la structure.

Coproduite par TOG – The Originals Group du franco-américain Alex Berger comme la série initiale, ce remake en épouse les atouts. Conçue à l’origine pour se concentrer sur la création des fausses identités, Le Bureau des légendes avait amendé cette approche restrictive pour plonger dans l’existence fascinante de ses clandestins, comme si James Bond se pointait entre deux missions à la Division des Affaires Générales du MI6 pour renseigner ses frais de déplacement.
Aborder le sujet des agents infiltrés par la construction de leur légende permet d’ausculter l’impact parfois ravageur sur leur vie privée, leur éthique et leurs tiraillements intimes : parentalité, relations amoureuses… Après tout, « Love is Blindness« , comme le susurre le générique de The Agency.

Poussés à de la vérité comme d’une variable d’ajustement, les protagonistes flirtent avec les lignes au risque de se perdre. Comme son modèle, The Agency explore comme peu d’autres les conséquences intimes de ce jeu de dupe prompt à broyer les individus, transformés en produits marchandés à la criée avec des émissaires étatiques en guise de maquignons.
S’enchaînent ainsi les interrogatoires, les négociations serrées et les exfiltrations en apnée, souvent capturés en montage alterné pour en décupler la tension. Les intérêts des uns et des autres ne cessent de se télescoper, chacun disposant ses pièces humaines sur l’échiquier planétaire avec le même objectif paradoxal : insuffler suffisamment d’intox pour parvenir à y voir clair dans un monde mouvant où la suspicion est la règle.

Les yeux vers l’Ukraine
Aussi fidèle soit-elle, The Agency n’opère pas moins une petite mise à jour des enjeux géopolitiques. La guerre en Ukraine se fraie une place de choix, y compris dans son fil rouge en convoquant le leader cruel d’une faction paramilitaire qui n’est pas sans nous rappeler au doux souvenir d’Evgueni Prigojine. Le rôle de la Chine et celui des Houthis traduisent également les préoccupations américaines.
Fusillades, course-poursuite : la réalisation muscle quelques péripéties sans céder à la tentation du spectaculaire à tout crin. Le Bureau des légendes elle-même n’hésitait pas, en dépit de ses exigences de réalisme, à s’en affranchir lorsque la dramaturgie l’imposait. Sa petite sœur suit le même chemin en imbriquant parfaitement l’action dans sa trame, au sein d’une mise en scène solide.

Le réalisateur Joe Wright (Reviens-moi) a assuré les premiers épisodes et respecté une forme de sobriété dénuée d’emphase musicale. Au point d’assumer une certaine lenteur initiale (le retour difficile de Martian) qui a divisé les critiques américaines. Aussi renommé soit-il, le casting se place au service des personnages sans jamais menacer l’équilibre choral de l’ensemble, même si Michael Fassbender, également producteur exécutif, se taille logiquement la part du lion.
The Agency conserve scrupuleusement l’ADN de son modèle, ce qui lui permet de se distinguer au sein d’une concurrence plus féroce qu’en : les fictions articulées sur des thèmes voisins y sont légion, y compris par le prisme de l’infiltration (The Americans, Homeland…)

Sa force est sa limite
La fidélité de The Agency constitue aussi sa principale faiblesse, à deux points de vue. D’une part, car elle ne profite pas de son changement de pays (de la DGSE à la CIA, via une unité implémentée à Londres) pour insuffler de nouvelles approches, qui auraient permis aux fans de l’originale de découvrir quelques subtilités dans le fonctionnement des différentes agences. Cette proximité traduit sans doute l’uniformisation des procédures en nos sociétés interconnectées.
Ensuite, car si elle constitue une vitrine internationale plus qu’honorable, on ne sait trop à qui elle s’adresse en , à plus forte raison sur Canal+. Ceux qui ont savouré Le Bureau des légendes seront en terrain trop connu, les quelques réagencements apparaissant comme un motif un peu maigre pour replonger. D’autant que l’originale avait déjà triomphé à l’étranger, notamment aux États-Unis, au point de devenir en 2016 la série française la plus rémunératrice hors de .

Restent ceux qui sont és à côté du phénomène, qui pourraient se laisser appâter par les têtes d’affiche internationales de The Agency pour raccrocher les wagons. Le casting ne manque pas de panache : Michael Fassbender retrouve Katherine Waterston après Alien Covenant, Jodie Turner-Smith revient aux affaires terrestres après avoir joué Dieu dans Sex Education, Richard Gere s’était fait rare sur les écrans et Jeffrey Wright démontre une humanité tout aussi versatile que dans Westworld.
On peut également prendre en compte ceux qui n’en peuvent plus d’être sevrés : la dernière saison du Bureau des Légendes s’est clôturée en 2020, et son spin off centré sur l’Afrique en est encore au stade du développement. Ceux-là pourraient, par nostalgie et curiosité, se laisser tenter. Bonne nouvelle pour eux : la suite de The Agency est, pour sa part, déjà au tournage au moment de cette diffusion française.
The Agency est disponible sur Canal + à partir du 22 mai

effectivement très fidele au bureau sauf que : photo pas très belle , et pourquoi ce format scope pour un film destiné à la télé …..!
Belle façon de dire que ça ne vaut pas l’original.
« Richard Geriatrique », « Mickael Facehugger »
Ces titres sur les photos tiennent du génie. C’est pour ça que je vous suis assidument depuis neuf ans maintenant.
Merci pour ça et pour toutes vos analyses aussi pertinentes que drôles.