Séries

Station Eleven : critique rassurante de la fin du monde sur Syfy

Par Alexandre Janowiak
12 octobre 2022
MAJ : 29 juillet 2023

En 2016, la jeune autrice Emily St. John Mandel publiait Station Eleven, fiction post-apocalyptique racontant la survie de quelques personnages n’ayant pas succombé à la pandémie mortelle qui a frappé la planète. Six ans plus tard, le récit a une résonnance particulière puisque le Covid-19 est é par chez nous. Pour ceux qui ne voudraient pas (à tort) se jeter sur le bouquin, Mackenzie Davis.

Station Eleven : Photo Mackenzie Davis

jusqu’à ce que la fin du monde nous rassemble

Lorsque la pandémie de Covid 19 a frappé la population en 2020, tout un monde s’est mis à l’arrêt, mais rapidement la vie a repris ses droits et chacun a pu, plus ou moins rapidement, avec plus ou moins de craintes, retrouver le confort, les plaisirs et les joies de sa vie d’avant. Station Eleven démarre de la même manière que notre pandémie, lorsqu’une grippe soudaine commence à rendre malade les humains. Sauf que son action est beaucoup plus virulente, son incubation quasi-immédiate et son taux de mortalité de 99%.

Autant dire que si les hôpitaux sont débordés dans le premier épisode de la série HBO Max, le monde s’y effondre avant même de pouvoir réagir. Le pilote de Station Eleven frappe donc par sa rudesse lorsqu’en quelques heures, le monde bascule dans une dimension cauchemardesque où chaque toux devient un signal d’alerte, où chaque inconnu se transforme en potentiel danger et où chaque geste anodin du quotidien (boire, manger, se réchauffer…) est amené à se transformer en tâche herculéenne.

 

 

Plus encore, si les membres d’une même famille ont parfois été séparées par des dizaines, centaines voire milliers de kilomètres lors de notre pandémie, ils pouvaient toujours communiquer entre eux grâce aux technologies (vous connaissiez Zoom avant le Covid vous ?). Dans Station Eleven, tout cela est un lointain é, et dès la fin de l’épisode d’ouverture, les humains se retrouvent isolés, confrontés à eux-mêmes ou entourés de la personne « avec qui ils étaient à ce moment-là », la dernière personne qu’ils ont croisée « avant » le drame.

C’est notamment le cas de nos deux personnages principaux, Jeevan (Gael García Bernal, sur scène) va les lier à jamais, seulement quelques minutes avant que le virus se répande.

 

Station Eleven : Photo Himesh PatelUne relation bouleversante

 

What the World Needs Now Is Love

Que l’on soit bien clair, Station Eleven est bel et bien une série d’anticipation, une série post-apocalyptique de surcroit. Toutefois, hormis lors de son pilote (où on assiste brièvement à un crash d’avion), la série ne cherchera jamais à être spectaculaire. Ici d’ailleurs, il ne sera pas question non plus de comprendre d’où vient le virus, d’en trouver la cause… Au contraire, à l’instar de The Leftovers qui n’a jamais expliqué le phénomène de disparition, Station Eleven n’évoquera aucune piste, la série ayant un tout autre but. En effet, le récit va surtout s’évertuer à retracer les parcours, rétablir les connexions, comprendre les dissensions et finalement raconter les (sur)vies d’une poignée de personnages.

Avec une structure quasi-épisodique, comme l’était déjà The Leftovers, la série embrasse donc une narration parsemée, extrêmement ambitieuse. Si le récit débute en 2020 lorsque la pandémie détruit le monde, il s’amuse en permanence à sauter dans le temps. Alors qu’il conte la progression d’un personnage dans notre présent, il l’éclipsera l’épisode suivant pour effectuer un long saut dans le é sur l’évolution d’un autre protagoniste avant de faire un immense bon en avant pour examiner celle d’un troisième, puis revenir en arrière de quelques jours avec le premier…

 

Station Eleven : Photo Danielle Deadwyler« Qu’aurais-tu fait si tu avais su plus tôt ? J’aurais fait le choix que je voulais faire. »

 

Plus encore, la série superpose même plusieurs temporalités dans un même épisode pour renforcer nos liens avec les personnages. L’épisode 7, Adieu ma maison endommagée, est sans doute celui qui impressionne le plus grâce à une idée visuelle bouleversante (même si pas franchement originale) où l’adulte Kirsten revisite dans une hallucination pré-mortem un événement tragique de son propre é. Le moyen pour elle de faire le point sur ses propres souvenirs, ses possibles regrets et surtout de faire la paix avec son moi-intérieur, ou de rassurer, dans un paradoxe temporel bouleversant, son soi antérieur.

Une structure qui ne prend pas forcément le temps de tenir le spectateur par la main, l’obligeant à réfléchir, patienter et observer par lui-même pour mériter ou obtenir des réponses narratives. Une audace qui perdra forcément plus d’un spectateur, mais qui n’oubliera jamais de récompenser les plus persévérants. Car si les destins gravitent autour d’un même événement ou d’un même personnage (Magnolia traverse souvent l’esprit au visionnage), lorsqu’ils finissent par s’entremêler pleinement, les éléments exposés s’imbriquant enfin, tout prend sens et les émotions explosent.

 

Station Eleven : photoEt soudain, le feu de la vie

 

alive poets society

En seulement dix épisodes, Station Eleven réussit donc l’exploit de capter pleinement une demi-douzaine de destinées. Avec son réalisme troublant, aussi cruel que tendre, désenchanté qu’enthousiaste, douloureux qu’apaisant, les personnages se croisent, s’adoptent, se perdent, se manquent, s’aiment, se détestent, se retrouvent juste à temps ou injustement trop tard. La série raconte alors un grand drame humain sur l’amour, le deuil, tout en posant également un regard ionnant sur la reconstruction d’un monde anéanti.

Et tout cela n’est qu’une substantifique moelle de la beauté humaniste au coeur des intentions de Station Eleven, déterminée à faire de l’art une sorte de sauveur, le remède à tous nos maux, notamment à travers sa Symphonie Itinérante jouant du Shakespeare pour différents villages de survivants. Car oui, lorsque le monde s’écroulera et retrouvera une forme de vie primitive (sans technologies…), que restera-t-il pour nous guider, nous exalter, nous réconforter, si ce n’est l’art, la culture ?

 

Station Eleven : photo, Mackenzie DavisItinérance d’une symphonique gaieté

 

Ainsi, lorsque les tragédies individuelles muent en une catharsis collective grâce à la force de l’art, qu’il s’agisse d’une pièce de théâtre shakespearienne, d’un orchestre ou d’une BD méconnue (Station Eleven donc), la série nous rappelle son importance, sa beauté, sa préciosité. La manière dont la culture, particulièrement littéraire dans ce cas-ci, est un stimulant nécessaire à nos vies (parce que « survivre n’est pas suffisant »). La façon dont l’art peut être un terrain d’une folle créativité et surtout être transcendé par la force de nos corps, de nos esprits et prendre littéralement vie (ici grâce au théâtre).

Et alors Station Eleven révèle un peu plus sa grâce, son charme, sa délicatesse et sa générosité. Car finalement, à quoi bon vivre sans le plaisir de pouvoir imaginer un monde meilleur, rêver d’une réalité fantastique, partager ses propres divagations et en faire une expérience collective vectrice d’émotions inspirantes pour se reconstruire soi-même ou se relever ensemble.

Station Eleven est diffusé sur Syfy en depuis le 13 octobre 2022

 

Station Eleven : Affiche US

Rédacteurs :
Résumé

Station Eleven est une série précieuse et stimulante sur la beauté de l'art, la puissance de l'imaginaire et le pouvoir du collectif. Un poème bouleversant et étrangement rassurant sur la fin du monde.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    Entrer dans Station Eleven, c'est pénétrer dans un grand labyrinthe, où les personnages cherchent un sens au milieu des décombres, des fantômes et Shakespeare. Un récit-somme fascinant et d'une beauté folle, qui brasse tout ce qui fait l'humanité (la solitude, l'amour, la vengeance, le pardon, la peur, les rêves, la foi, et surtout : l'art).

Tout savoir sur Station Eleven - Saison 1
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Dorian
Dorian
il y a 1 année

Merci pour la recommandation, j’ai enfin pu regarder cette série et je n’ai absolument aucun regret. C’est magnifiquement écrit (a quelques écueils près) et surtout irablement bien interprété. Je n’ai pas trouvé ça long, au contraire. J’ai été happé par les épisodes et je me suis attaché au personnages comme rarement auparavant. Les petites maladresses d’écriture n’en font pas un chef d’œuvre mais Station Eleven est à ce jour une des plus belles séries que j’ai pu voir.

Nicoflap
Nicoflap
il y a 2 années

Je res ceux qui ont trouvé ça chiant. Vu les critiques, on s’attend à quelque chose de grandiose et au final les premiers épisodes sont longs, trés longs.

Tellement long que j’ai abandonné puis lisant le résumé des derniers épisodes, bah du déjà vu mais en chiant

Solan
Solan
il y a 2 années

Petite question : Station Eleven semble ne sortir que sur HBO Max, c’est bien cela ? Étant donné que le service n’est pas disponible en , et ce, a priori jusqu’en 2024, comment avez-vous pu la regarder ? Il y a un autre moyen ?
Merci !

Mizdema
Mizdema
il y a 2 années

Autant j’ai adoré le livre, autant la série m’a parue longue, ennuyeuse, pompeuse larmoyante.

Anachronaute
Anachronaute
il y a 2 années

Sérieux les gars ?!
Une bonne série sur Syfy ?
Sur Syfy…?
Un peu gros comme poisson d’avril.
Surtout au mois d’octobre.

Metuxla
Metuxla
il y a 2 années

j’ai eu du mal a rentrer, 2 ou 3 épisodes puis j’y étais et j’y suis encore.

Euh
Euh
il y a 2 années

Après quelques épisodes j’ai dû abandonner, d’un ennui total, malgré de bons acteurs, certains épisodes paraissent durer une éternité pour ne rien dire d’intéressant ou qu’on ait déjà compris. Un Tales from the loop est bien plus poétique et mieux écrit.

Jere
Jere
il y a 2 années

LA série de l année clairement, poésie, stress, angoisse, survie et théâtre… Une claque esthétique et peu commune.

Olric
Olric
il y a 2 années

Superbe série, pleine d’humanité avec tout ce que ça implique comme défauts, Mackenzie Davis est hypnotisante comme d’habitude.

Hilliesse
Hilliesse
il y a 2 années

C’était sympathique et poétique mais il ne se e finalement pas grand chose et après 3 épisodes on s’ennuie sévère une fois l’univers post apocalyptique implanté, du The Walking Dead » mais sans zombies