Jeux vidéo

Entre Matrix et Twin Peaks : le petit coup de cœur du jeu Karma The Dark World

Par Léo Martin
5 avril 2025

Voilà un premier jeu qui fait très fort. Avec Karma : The Dark World, le studio chinois Pollard nous propulse dans une dystopie rétrofuturiste qui pastiche 1984, de George Orwell. On y incarne Daniel McGovern, un agent de l’entreprise Leviathan chargé de sonder la psyché de divers suspects dans une enquête aux enjeux nébuleux. Alors que l’aventure avance, on se retrouve bien vite à la croisée d’Orwell, David Lynch (et Twin Peaks), dans un flot de bonnes idées visuelles, et précipité vers une esthétique parfaitement lugubre. Karma c’est un très beau cauchemar qui vaut absolument le détour. 

© Wired Productions

1984 en 2025

1984 de George Orwell, c’est sans doute le roman dystopique le plus cité (notamment par ceux qui ne l’ont jamais lu) quand on veut alarmer les foules. Bien que le propos de son histoire se soit perdu avec le temps, il n’en reste pas moins ionnant. Pour rappel, 1984 évoque avant tout les dérives de la société si celle-ci était gérée non pas comme un État de droit, mais comme une entreprise autoritaire. La productivité et la sécurité remplaçant alors les notions de liberté et d’épanouissement personnel.

Le langage, la créativité, la conscience de classe… tout ce qui est inutile à la machine est alors réduit à son minimum. On pourrait ainsi faire d’innombrables parallèles avec des débats contemporains.

Voilà pourquoi Karma : The Dark World, dans sa tentative explicite de réadapter 1984 au goût du jour, est plutôt pertinent. Le studio chinois (ironique) derrière le jeu semble en effet hanté par l’imaginaire orwellien, et cherche bien à en tirer ici une lecture nouvelle. Celle-ci est parfois un peu lourdaude (c’est le niveau Black Mirror de la subtilité) mais au moins, Karma a le mérité de vouloir exprimer quelque chose de sincère.

La sécurité des interrogatoires n’est pas garantie

Que ce soit avec les hommes aux têtes de télévision, les énormes « Mother is watching you » sur les dirigeables ou les séquences « qui font réfléchir sur la société », le jeu n’est pas toujours très fin. Toutefois, on le pardonne volontiers tant sa dialectique est bien mieux portée par son univers de SF très inspiré. Là où Karma est une excellente adaptation de 1984, c’est clairement dans sa capacité à en embrasser le désespoir littéraire, tout en lui amenant une mythologie très référencée et d’une certaine richesse thématique.

On va aller fouiller chez Philip K. Dick (Minority Report en particulier) et Kafka, et on se retrouve avec un thriller déroutant, malin et visuellement somptueux. Toute l’envergure du cauchemar dystopique se dessinera alors d’abord par des couloirs istratifs devenant des enfers liminaux en formes de backrooms. La terreur d’un monde uniquement régi par une obsession des résultats apparaîtra dans l’essence même de ses couloirs que l’on parcourt et de la technologie développée par Leviathan pour assurer son contrôle sur les employés.

Certains décors sont à couper le souffle

Le Karma sourit aux audacieux

Puisque notre protagoniste (Daniel) enquête dans les souvenirs de ses suspects, le jeu fonctionne comme un puzzle mental à reconstituer. Et celui-ci n’est pas avare en surprises et en twists – jusqu’à un dénouement qui retourne bien la tête. Malgré la présence de quelques énigmes (assez peu difficiles), Karma est toutefois moins un jeu d’enquête qu’une aventure narrative très cinématographique qui privilégie l’expérience sensorielle au gameplay.

On peut ne pas apprécier ce point, mais au moins le studio sait ce qu’il veut. Ainsi, son jeu ne se disperse pas dans trop de phases survival horror ennuyeuses ou dans du remplissage bidon. Karma se concentre sur sa réalisation et l’articulation de son intrigue. Et là, c’est une jolie réussite. Afin de mettre en scène des traumatismes ou les souvenirs féériques, le titre de Pollard sait toujours comment créer des séquences très distinctes les unes des autres, et qui ont toutes un fort impact. Chaque chapitre du jeu sait être ou oppressant, ou émouvant, ou terrifiant.

« Je menais mon enquête, tranquille, quand soudain… »

L’autre grand atout de Karma : The Dark World, dont on ne pouvait pas ne pas parler, ce sont ses (très nombreuses) citations d’œuvres de pop culture plus récente. On a parlé d’auteurs de SF classiques juste avant, mais parmi les nombreuses idées horrifiques du jeu, il semble impossible de ne pas voir l’influence de P.T de Kojima, le fameux Silent Hill abandonné. Aussi, dans la manière d’instiller de l’inquiétante étrangeté dans des open space et bureaux vides, on retrouve des inspirations venant du Control de Remedy ou même de la série Severance (dont la parenté avec certains morceaux de l’intrigue de Karma parait évidente).

Côté body-horror et réalité virtuelle, il y a aussi clairement du Twin Peaks. Car oui, le travail de David Lynch est directement invoqué dans le jeu et cette fois, c’est très loin d’être un simple clin d’œil.

C’est un énorme hommage que le studio chinois rend au réalisateur en consacrant son meilleur chapitre à une exploration hallucinatoire et géniale d’un des plus mémorables décors de Twin Peaks – et ça marche complètement avec l’esthétique du jeu et son histoire. Rien que pour cet incroyable moment de jeu vidéo (qui, tragiquement, sonne maintenant comme un éloge funèbre), Karma restera comme l’une des plus troublantes, mais jolies surprises de 2025.

Karma : The Dark World est disponible depuis le 27 mars 2025 sur PC, Xbox Series X|S et PlayStation 5. Ce test a été effectué sur PC.

Rédacteurs :
Résumé

Karma : The Dark World est une expérience courte, intense et fort bien réalisée. Certaines séquences sont bluffantes de beauté et les nombreuses références (en particulier celle à David Lynch) très bien amenées. La fin du jeu laisse espérer une suite dans le même univers et franchement, on ne demande qu’à l’avoir. 

Tout savoir sur David Lynch
Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Prisonnier
Prisonnier
il y a 1 mois

Un jeu Orwellien fait par des chinois? C’est de la schizophrénie 🤣