Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler de Bi Gan.
Avant même son arrivée sur la Croisette, Resurrection avait une réputation immense et un mythe se créait déjà autour de lui. Chacun se demandait si le film serait terminé à temps et surtout, s’il erait sans trop d’encombre la validation de la censure chinoise. Jusqu’au bout, on aura pu douter puisque le film a été ajouté à la sélection en toute dernière minute, le 8 mai en fin d’après-midi, veille de l’ouverture de la billetterie et seulement cinq jours avant le début des festivités cannoises.
Le troisième film de Bi Gan (après Kaili Blues en 2015 et Un grand voyage vers la nuit, é par Un Certain Regard en 2018) a donc été présenté en compétition pour la Palme d’or dans une ambiance survoltée avant la séance. Mais est-ce que la hype était justifiée ?
SONGES D’UNE VIE DE CINÉ
De quoi ça parle ? Dans un futur post-apocalyptique, les humains n’ont plus le droit de rêver. Des rebelles appelés « rêvoleurs » transgressent les règles et sont pourchassés par des agents appelés « Les grands autres ». Une agente (Shu Qi) capture l’un d’entre eux (Jackson Yee), mais elle décide, par empathie, de laisser ce simili-monstre faire un ultime rêve.
Et c’était comment ? Avec Kaili Blues en 2015, Bi Gan nous saisissait avec un plan-séquence de 41 minutes traversant le village de Kaili et faisant se chevaucher les temporalités d’un personnage retraçant son é, présent et futur. En 2019, avec Un grand voyage vers la nuit, le Chinois réalisait un autre tour de force avec une séquence en 3D de près d’une heure, elle aussi en plan-séquence, pour permettre à son héros de basculer dans une forme de magie détachée du réel.
Avec Resurrection, seulement son troisième film, le cinéaste de 35 ans explore encore une fois la distorsion du temps et du réel, mais avec une puissance démultipliée. Parce que Resurrection n’est pas tant un film que six oeuvres en une, dont l’ambition formelle dée à peu près tout ce que le cinéma récent a pu faire (qu’il soit d’un calibre hollywoodien ou indépendant). Une oeuvre sensorielle où chaque chapitre évoque un des cinq sens humains à travers un labyrinthe hypnotisant nous faisant traverser près d’un siècle d’existence… et de cinéma.

Dans son prologue, le réalisateur suit ainsi Shu Qi dans sa recherche pour capturer le rêvoleur dont elle a la charge. Le début d’une plongée abyssale dans un long fantasme de cinéma, l’agente déambulant dans l’univers du muet, évoquant tour à tour Lumière, Murnau, Melies, Wiene, Zeman et d’autres, le tout dans des décors d’une beauté fascinante. Jouant avec le format du 4:3, une image volontairement âbimée et une cadence de 16 images par seconde, Bi Gan livre un morceau de cinéma absolument prodigieux.
Toute sa poésie repose toutefois dans le choix de La grande autre de ne pas tuer le Rêvoleur mais plutôt d’entrer dans ses rêves, consciente de ce qu’ils représentent vraiment. Activant ainsi un projecteur enfoui dans ses entrailles, elle va le suivre dans sa traversée du temps et du 7e art dans un voyage mémorable.

le goût de l’éternité
Pas certains qu’il soit nécessaire d’en dire forcément plus, mais difficile de se retenir devant la maestria de cette oeuvre hors-du-commun. Les songes défilent ainsi pendant près de 2h40, Resurrection suivant d’abord un policier à la poursuite d’un assassin qui perfore le tympan de ses victimes dans un parfait film noir des années 40, dont un hommage magnifique à La Dame de Shanghai d’Orson Welles et sa fameuse scène de la galerie des glaces (le miroir étant l’un des éléments fondateurs de toute l’oeuvre de Bi Gan).
Par la suite, on visitera un temple bouddhiste et la confrontation du rêvoleur avec un esprit, avant une histoire d’arnaque père-fille centrée sur les odeurs. Enfin et surtout, filmée dans un plan-séquence près de 40 minutes, on traversera une histoire d’amour interdite, se déroulant la nuit du Nouvel An 1999, où la crainte de la fin du monde s’abat sur un jeune voyou et une vampire avant le lever du Soleil.
Dans ce dédale d’images et de sons, accompagné par la musique de M83, les styles, les formats, les couleurs, les contrastes et les cadences varient, et à Bi Gan d’explorer tous les possibles du cinéma (entre Melville, Wong Kar Wai, Lynch, Tarkovski, les Wachowski, Carax, Coppola…).

C’est là l’absolue réussite de Resurrection que d’en faire un terrain de jeu infini. Chaque fantasme peut y devenir une sorte de réalité alternative. « Les apparences sont des illusions » dit Bouddha selon l’esprit de l’amertume dans le troisième segment, mais déer ses apparences est une clé pour reconnaître la nature illusoire de tout ce nous voyons et apprendre à vraiment distinguer le vrai du faux. D’où cette odyssée où notre perception du réel est mise à rude épreuve, dans des rêves où l’imaginaire n’a plus de limites.
À tel point qu’il défie les lois de la physique à l’image du cinéma, art capable de transcender n’importe quels sens, l’espace et le temps. C’est toute la force d’un plan magistral en timelapse dans le cinquième segment, un des nombreux tourbillons émotionnels du film (avec le plan final). La foule y grouille, les ages se multiplient, la nuit avance… mais L’arroseur arrosé des frères Lumières, lui, conserve sa propre temporalité, ne répondant à aucune contrainte, libre de ses mouvements et, in fine, éternel.

Bien sûr, ce film-fleuve énigmatique devrait perdre plus d’un spectateur par son audace et son originalité. Et d’ailleurs, même en séance presse, nombre de confrères ont quitté la salle en cours de route. Était-ce par fatigue (la séance débutait à 22h après déjà 9 jours intenses de festival) ou par simple ennui ? Mystère. Une chose est sûre, Resurrection ne se vit pas comme un film, mais comme une expérience immersive de cinéma.
Un grand voyage qui vient d’ailleurs faire mentir une des devinettes de son quatrième segment. Une jeune fille y demande à son père (le rêvoleur) ce qu’on peut faire seul, mais pas à deux ? Il lui répond rêver. Avec Resurrection, Bi Gan prouve au contraire que le rêve peut, non seulement être une expérience solitaire, mais se vit comme une expérience collective… grâce au cinéma. Inoubliable.
Et ça sort quand ? Aucune date de sortie n’a été annoncée par le distributeur Les Films du Losange.
C’est vrai qu’elle est chouki …Shu Qi.
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Voilà qui donne grandement envie. Je sens que ce film va sortir dans un an histoire de bien nous faire patienter….