Films

Entre Alien et Basic Instinct, le piège parfait pour les obsédés du cul (pris à leur propre piège)

Par Déborah Lechner
14 décembre 2023
MAJ : 12 février 2024
La Mutante : photo

La Mutante pourrait être un sommet de ridicule avec son histoire de tueuse hybride blonde en chaleur, mais ce film de science-fiction est plus malin et satirique que ce que son pitch graveleux laisse penser. 

Quand Roger Donaldson, est sorti au cinéma en 1995, il a connu un joli succès au box-office, du moins suffisant pour accoucher de trois suites. La réception critique a cependant été plus mitigée, les descriptions oscillant entre la sympathique série B de science-fiction, et le sous-Alien paresseux qui flirte dangereusement avec l'absurde et la libido de son public. En cause : cette histoire en dessous de la ceinture sur un hybride mi-alien mi-mannequin qui s'échappe d'un laboratoire pour s'accoupler avec un beau mâle alpha (et se déshabiller toutes les 20 minutes).

Si on ajoute à ça le commando qui la recherche (surtout le médium aux fraises de Forest Whitaker), Ben Kingsley qu'on croirait pris en otage, l'histoire d'amour mi-molle en arrière-plan, les séquences numériques ridées et le design volontairement "sexy" de la créature avec tétons proéminents, le film a toutes les composantes du thriller vaguement érotique, voire du navet impuissant. Pourtant, sous ses airs grotesques et aguicheurs, le long-métrage écrit par Dennis Feldman s'avère malin et étonnant dans sa réinterprétation outrancière et ironique de la fameuse "femme fatale" hollywoodienne

 

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NUE ET CULOTTÉE

Dans La Mutante, ce n'est pas la traque mollassonne de Sil (la mutante du titre) qu'il est intéressant de décortiquer, mais plutôt sa caractérisation et ses motivations, qui ont peu d'équivalents au cinéma. À première vue, elle pourrait coller au cliché sexiste de la femme insensible et croqueuse d'hommes qui use de ses charmes pour arriver à ses fins. Et le fait de donner ce rôle peu bavard et habillé au mannequin canadien inexpérimenté Natasha Henstridge (âgée de 20 ans pendant le tournage) avait de quoi renforcer cet a priori. 

Sil séduit effectivement les hommes avec son corps de rêve et en tue quelques-uns au age, comme le fait la beauté glaciale de Sharon Stone dans Basic Instinct – pour prendre une des références en la matière. Mais la nymphomanie morbide de l’hybride est dénuée de désir ou même de libre arbitre; ne sachant pas pourquoi elle agit comme elle le fait, elle se demande même à quoi elle peut bien « obéir ». 

 

La Mutante : photo, Natasha HenstridgeL'autre Basic Instinct

 

Elle répond en fait à l’appel le plus primitif : être fécondée par un mâle génétiquement adéquat, qu’elle finira par tuer après leur coït. Sa part d’humanité ne s'exprime qu’à travers un camouflage charnel prévu à cet effet. Sil est ainsi renvoyée à ses instincts les plus bestiaux, devenant une incarnation quasi littérale de la « mante religieuse » (mandibules à l’appui).

Cette conception purement reproductive de sa sexualité, et par extension son rapport pragmatique aux hommes, sont d’ailleurs mis en parallèle avec l'arc sentimental du Docteur Laura Becker (Alfred Molina), précise bien qu’ils n’utilisent pas de préservatif, contrairement à l'autre couple sûrement plus avisé. 

 

La Mutante : photo, Natasha HenstridgeIl pensait er une excellente soirée

NI PUTE NI SOUMISE

Si elle a la force de dix Schwarzenegger, sème les cadavres et n’éprouve aucun remords, Sil n’est pas une méchante à proprement parler, ni même un être particulièrement cruel. Contrairement à l’archétype de la femme vengeresse et impitoyable qui inverse la culpabilité et les rapports de force, la mutante ne poursuit pas de quête punitive ou justicière, comme c’est notamment le cas dans le sous-genre du rape and revenge. 

Toujours dans une logique zoologique, elle tue quand elle se sent menacée, ou quand elle convoite le même « mâle » qu’une autre « femelle » , sans distinction entre le Bien et le Mal malgré son intelligence manifeste (elle comprend l’utilité de l’argent et l'attrait de la lingerie, apprend à conduire une voiture et se teindre les cheveux…)

 

La Mutante : photoUn autre genre de "louve sanguinaire"

 

Ses mutations monstrueuses n’extériorisent pas non plus un traumatisme, pas plus qu’elles n’illustrent une prise de contrôle sur sa sexualité et son plaisir. En revanche, on peut s'approcher de cette lecture métaphorique lorsqu'elle s’enveloppe dans une sorte de chrysalide et « renaît » en pleine capacité et maîtrise de son corps après que son créateur a voulu la détruire.

Elle n’est pas pour autant dans la prédation aveugle comme peuvent l’être les xénomorphes à qui elle a souvent été comparée (les deux ont été créés par le même concepteur, H.R. Giger). Il est même probable qu’elle n’ait pas conscience de son rôle de pionnière colonisatrice étant donné qu’elle affirme aussi ignorer « ce qu’on attend d’elle ». Et parce qu’il est un joker bien utile au scénario, le médium emphatique Dan Smithson ressent que Sil n’aimait pas être isolée et enfermée au laboratoire de l'Utah, confirmant qu’elle n’est pas qu’un organisme dépourvu de sensibilité. S’il fallait ranger ce personnage dans une case, il faudrait en créer une sur-mesure.

 

La Mutante : photo, Natasha Henstridge L'incubateur qui voit les hommes comme des banques de sperme


ET L’HOMME CRÉA SIL

Quand bien même le commando tente d'entraver son appétit sexuel obsessionnel, Sil n'est pas là pour réprimer le pouvoir féminin sous un prisme misogyne, puisque c’est indirectement la misogynie qui a l’a créée. Après avoir cru bon de suivre le mode d’emploi d’une race extraterrestre inconnue pour combiner leur ADN au nôtre, les scientifiques de Dugway (les vrais méchants de l’histoire) ont préféré créer un hybride féminin et non masculin pour qu’il soit « naturellement plus domicile et mieux contrôlable », en plus de s’abroger un droit de vie et de mort sur elle.

Elle est donc autant « la réponse » des extraterrestres au message que leur ont envoyé les hommes, qu’une réponse ironique à leur sexisme. La reproduction comme but existentiel peut ainsi être vue comme l'exagération outrancière des injonctions quant à la maternité et l'accomplissement supposé des femmes. La volonté de Sil n'est d'ailleurs pas innée, puisqu'elle développe ce besoin de procréer au d'autres femmes enceintes.

 

La Mutante : photoL’ironie d’acheter une robe de mariée pour sa parade nuptiale à Los Angeles

 

Elle est également le reflet déformé et satirique de la violence sexuelle le plus souvent masculine. De façon presque candide, elle inverse les rapports de domination dans certaines représentations normées (la drague agressive en boîte de nuit, typiquement). L'homme diabétique avec qui elle ne veut plus coucher a quant à lui signé sa perte en laissant sa frustration prendre le dessus. "Certains hommes ent mal l'échec, alors ils insistent" comme le rappelle le sage médium.

Et ce n'est pas tant la désinhibition de Sil qui est dangereuse pour l'Humanité, que la libido des hommes sur qui elle se jette sans résistance. Si toute la race humaine risque d'être anéantie par une nouvelle espèce, c'est tout bêtement parce qu’Arden était sexuellement frustré, "la queue entre les jambes" après sa drague foirée, et qu'il s'est donc empressé de baisser sa braguette devant une belle inconnue très entreprenante (et surtout inquiétante). On le ne rappellera donc jamais assez : sortez couverts, et méfiez-vous des inconnus.

 

La Mutante : Photo Alfred MolinaLe meilleur spot de prévention 

 

Que ce soit conscient ou non, il est d'ailleurs ironique que la promotion ait cherché à séduire et attirer le public masculin en salles en faisant du physique avantageux et dénudé de l'actrice un argument de vente à part entière, comme avec les accroches de certaines affiches américaines : « Les hommes ne peuvent pas lui résister… L'humanité pourrait ne pas lui survivre » ou « Soyez fascinés. Soyez séduits. Soyez avertis ».

Mais si le film paraît encore brut de décoffrage et pas très malin au-delà de l'écriture de son personnage central, il suffit de le comparer à ses trois suites (dont les deux dernières sont directement sorties sur le marché vidéo) réalisées par trois cinéastes différents. Celles-ci sont bien plus complaisantes sur le gore et les meurtres sanglants, tout en tombant dans le piège de trop fétichiser les mutantes, prenant ainsi une tournure résolument plus nanardesque et inintéressante. 

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Mx
Mx
il y a 1 année

prochaine suggestion d’articles, de films oubliés, l’île du docteur moreau (1996), outlander le dernier vicking, le témoin du mal, surveillance, the night flyer, piège fatal, ultime décision, la dernière cavale, total western, les insoumis.

steve
steve
il y a 1 année

@Pseudonaze
euh, pourquoi « le regretté Michael Madsen » ??
Il est encore bien de ce monde, hein

@Eomerkor
Bien vu la réf à « Lifeforce » !

Ankytos
Ankytos
il y a 1 année

Bon souvenir d’une série B sympa.
Mais pas trop d’accord avec le titre : y a-t-il vraiment besoin d’être obsédé du cul pour avoir envie de faire l’amour avec Natasha Henstridge ? Il me semble qu’il suffit d’une libido lambda 🙂
Ou alors, bon… je suis obsédé du cul, c’est bien possible 🙂

Flash
Flash
il y a 1 année

Vu aussi à l’époque au cinoche.
Film assez oubliable, mais au casting sympa, et puis Natasha Hendtridge…
Je l’ai revu récemment dans un nanar horrifique, elle est encore bien gironde, mais hélas elle est restée habillée tout le film.

Boddicker
Boddicker
il y a 1 année

Vu en salle à l’epoque, gros navet à mon avis, Henstridge est très belle mais elle a zéro charisme ni présence à du coup son perso n’est ni sexy ni fascinant (la malediction des tops models « actrice »), le travail de Giger se devine à peine tellement il à été remanié et gommé (voir plutôt le magnifique bouquin Species), sinon c’est du Donaldson, transparent, classique, fade… du sous sous Walter Hill.
Cheers.

Eomerkor
Eomerkor
il y a 1 année

Film plus subtil qu’il n’y parait donc. Faut juste ne pas regarder en dessous de la ceinture. J’avoue qu’à part le titre et Natasha Henstridge je me rappelai plus de quoi ça parle et encore moins qu’il y a avait des scènes de « caméos » (novlangue – confère James Gunn).
Prochain article : LifeForce. L’histoire d’une vampire extra terrestre (Mathilda May) qui se ballade toute nue pendant tout le film à la recherche de ses vêtements. Une dénonciation de la société de consommation et de l’impact des périodes de soldes sur la charge mentale des femmes.

Redwan78
Redwan78
il y a 1 année

Trilogie qui ait en boucle sur M6 donc mauvais souvenirs.

Pseudonaze
Pseudonaze
il y a 1 année

Ce qui m’a le plus marqué dans ce nanard désopilant ça reste le regretté Michael Madsen en pseudo super troufion d’élite des forces super méga spéciales qui ne sait jamais comment tenir correctement son arme pendant toute la durée du métrage.
Il y a même une scène où il agitte son gun à quelques centimètres du visage de Marg Heilgenberger alors qu’ils ont une discussion un peu tendue ! Dans la vraie vie il aurait déjà dégommé toute la fine équipe par accident au bout de 5mn et se serait fait explosé les roubignoles dès la première mise en joue !

Haha
Haha
il y a 1 année

La lourdeur du titre, probablement un de vos meilleurs

Eg
Eg
il y a 1 année

Personnellement j’ai aimé le 1 et 2 après ça a fait comme beaucoup de suite , c’est devenu mauvais.