Films

The Big Lebowski : tellement culte qu’il a sa propre religion, que vous pouvez redre

Par Marie Casabonne
1 janvier 2023
MAJ : 24 mai 2024
The Big Lebowski : photo

Quel est le stade ultime d'un film culte ? Devenir une religion. C'est le cas de Jeff Bridges en Dude.

On se souvient tous et toutes de notre première rencontre avec le Dude, déambulant dans un supermarché dans sa tenue iconique – peignoir, sandales et lunettes de soleil, un chèque de 69 cents pour payer une brique de lait, en toute décontraction. Sans le savoir, nous étions face à la première d’une longue série de scènes cultes.

Les accès de colère de Walter, sortant son flingue en plein bowling ou défonçant une voiture rutilante au pied de biche ; l'inoubliable et si cringe John Turturro en Jesus ; les séquences de rêve psychédéliques au son d’une BO (Bob Dylan, Elvis Costello, Kenny Rogers..) aussi cool que le Dude… Tout ceci a contribué à faire de The Big Lebowski le phénomène qu’il est aujourd’hui.

Et pourtant, c’était loin d’être gagné. Échec relatif à sa sortie en 1998, The Big Lebowski n’a atteint le statut de film culte qu’au fil des années. Aujourd'hui, près de 25 ans plus tard, c'est l’un des plus emblématiques de la carrière des frères Coen. Qui jouit d’une communauté de fans tellement dévouée qu’elle a érigé la philosophie du Dude en religion : le Dudéisme.

 

The Big Lebowski : photoUne certaine vision du bonheur

 

"This is a very complicated case, Maude"

Les frères Coen étaient attendus au tournant avec ce Dude. The Big Lebowski est sorti en 1998 aux États-Unis, un an après le succès de Fargo aux Oscars. Le polar enneigé y avait remporté deux des sept statuettes pour lesquelles il était nommé (meilleur scénario et meilleure actrice pour s McDormand). L’attente du public et de la critique était donc au plus haut pour leur film suivant, et la réception de The Big Lebowski a été très mitigée, aux États-Unis du moins.

Le public américain n’a pas vraiment été au rendez-vous et le film n'a rapporté que 18 millions de dollars sur le territoire national, soit à peine plus que son budget (15 millions de dollars). The Big Lebowski s'est rattrapé en revanche à l’international (avec un total 46 millions de dollars de recettes globales), puis lors de sa sortie en vidéo. En , le film s’en est sorti avec un score très honorable (plus de 700 000 spectateurs, contre 647 000 pour Fargo).

 


 

Côté critique, Roger Ebert reprochait au film, comme bon nombre de ses confrères, un scénario “qui part dans tous les sens mais n’aboutit nulle part”. Et c’est pourtant le but du film, comme l’explique Joel Coen dans les bonus du DVD : l’intrigue est secondaire par rapport aux péripéties et aux rencontres du Dude à travers Los Angeles. Ce n’est pas la destination du personnage qui compte, mais son voyage.

Très librement inspiré du roman Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, publié en 1939 et adapté au cinéma par Howard Hawks en 1946, le scénario joue sur un habile mélange des genres. Empruntant autant au slacker et au stoner movies (littéralement, les films de glandeurs et de défoncés) qu’au film noir, The Big Lebowski invente carrément un nouveau sous-genre : le slacker noir.

 


 

Reprenant les codes et la structure du film noir, le slacker noir met en scène un personnage de stoner ou de slacker, et le place au centre d’une intrigue de polar. Dans le film noir, le détective est animé par une détermination à toute épreuve pour résoudre l’enquête, tandis que celui du slacker est un personnage if, détaché de tout, et porté voire déé par les événements. À l’inverse du protagoniste de film noir, celui du slacker noir est un anti-héros qui fait tout pour échapper à l’enquête et ne cherche pas à la résoudre, ou alors avec des moyens pas vraiment conventionnels. Ce qui donne lieu à des scènes mémorables, lorsque Walter tente par exemple de duper les ravisseurs en leur remettant une valise contenant ses sous-vêtements sales, en lieu et place de la rançon.

Et si le Dude parcourt la ville et enchaîne les rencontres, les ages à tabac et autres péripéties, ce n’est pas pour résoudre le mystère de la disparition de Bunny, mais uniquement pour obtenir réparation suite à son tapis souillé. Car il faut le reconnaître, il harmonisait vraiment bien la pièce, ce tapis.

 


 

"Sometimes, there is a man…"

The Big Lebowski, c’est aussi la rencontre d’un homme, Jeff Bridges, avec le rôle de sa vie, celui du Dude. L'acteur réussit à livrer une interprétation parfaite, qui repose à la fois sur l’écriture du personnage (inspiré de Jeff Dowd, producteur et activiste politique qu’ont connu les Coen sur leur premier film Blood Simple) et sur une part d’improvisation de l’acteur, qui s’approprie totalement le rôle. Jeff Bridges est même allé jusqu’à apporter ses propres vêtements pour parfaire le look du Dude, notamment les magnifiques sandales en plastique de type méduses qu’il porte dans certaines scènes.

Le Dude, c’est évidemment la nonchalance et la coolitude incarnées, et érigées en mode de vie par ce personnage anticonformiste. Ancien hippie des années 60, le Dude a choisi la voie du pacifisme et de la rébellion silencieuse, celle qu’il fait tout seul dans son coin, en peignoir et sandales. Loin de l’agitation et du tumulte du monde, il a adopté une approche sereine de la vie et mis en place une routine rassurante et confortable, faite de petits plaisirs et de joies simples, comme un t, un russe blanc, ou une partie de bowling (même si on ne le voit jamais lancer une boule de bowling de tout le film).

Sans se soucier d’une quelconque pression sociale, le Dude n’a pas de femme ni d’enfant, pas d’argent, pas de travail. Incarnant l’absence d’ambition et de performance, et rejetant ce que la société érige comme marqueurs de réussite, il est “sûrement le type le plus fainéant du comté de Los Angeles”, selon le narrateur.

 

The Big Lebowski : photo, Jeff BridgesStart Up Nation

 

Pour ces raisons, le Dude est vu comme un loser par certains personnages, notamment son homonyme, le Big Lebowski auquel le film doit son titre. Car le Dude est tellement détaché de tout, qu’il n’est même pas le Lebowski du titre. Il rejette par ailleurs ce nom, lui préférant de nombreux surnoms : le Dude (traduit par le Duc en VF), His Dudeness, Duder, ou encore El Duderino.

Sa dudéité est entourée d’une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, à commencer par son acolyte Walter, incarné par John Goodman, acteur fétiche des Coen. Vétéran du Vietnam dont il n’est jamais totalement revenu, bavard et colérique, Walter est l’opposé du Dude, le yin de son yang. Le trio est complété par Donny, impayable Steve Buscemi en copain timide et à côté de la plaque sans cesse rabroué par Walter à grands coups de “Shut up, Donny !”.

Le reste du casting est tout aussi savoureux : Julianne Moore en Maude Lebowski, artiste féministe inspirée de Carolee Schneemann et Yoko Ono ; John Turturro en Jesus, tout de violet vêtu ; le bassiste des Red Hot Chili Peppers, Flea et Peter Stormare en nihilistes. Sans oublier le regretté Philip Seymour Hoffman dans le rôle de Brandt, l’obséquieux secrétaire du millionaire Jeffrey Lebowski, joué par David Huddleston, et sa femme-trophée, Bunny (Tara Reid). Tous plus étonnants les uns que les autres, ces personnages secondaires renforcent l’attachement au film, et le culte que lui vouent ses fans : on retourne vers The Big Lebowski et ses personnages comme on rend visite à de vieux potes.

 

The Big Lebowski : Photo Julianne MooreQueen Julianne Moore

 

The Dude abides

Comme un présage du destin qu’allait connaître The Big Lebowski, le Dude est élevé en figure christique par le narrateur à la fin du film. Sam Elliott, dans le rôle d’un énigmatique cowboy qui ouvre et ferme le métrage, répète la réplique devenir culte : “The Dude abides” (le Dude reste le Dude), prononcée par le Dude lui-même.

Le Dude reste le Dude. Vous, j’sais pas, mais moi, ça m’réconforte de savoir qu’il est là, le Dude, en train de s’la couler douce pour nous tous, pauvres pêcheurs.”

Malgré lui, le Dude est devenu un personnage inspirant et culte, au sens littéral du terme. De son attitude et de sa philosophie de vie est née une religion : le Dudéisme. Auto-proclamé Dudely Lama, en référence au Dalaï Lama, Oliver Benjamin a créé cette religion en 2005 en s’inspirant des préceptes du taoïsme et du bouddhisme. Prônant le lâcher-prise, le dudéisme incite à se laisser porter par le courant, à ne pas se laisser ronger par les angoisses du é et de l’avenir, pour se concentrer sur l’instant présent et vivre en harmonie avec soi-même.

Et même s’il s’auto-proclame “religion dont la croissance est la plus lente au monde” ce courant rassemble aujourd’hui 600 000 adeptes à travers le monde, qu’on peut redre en se faisant ordonner on peut se faire ordonner prêtre ou prêtresse dudéiste en ligne.

 

The Big Lebowski : photoCérémonie d'intronisation

 

Si les Coen n’avaient pas du tout imaginé donner une dimension spirituelle à leur film, Jeff Bridges a pour sa part pleinement embrassé cette idée. Il a publié en 2012 un livre intitulé The Dude and the Zen Master, dans lequel il discute avec le maître zen Bernie Glassman des théories bouddhistes et de l’approche de la vie du Dude.

La ferveur des fans de The Big Lebowski ne s’arrête pas là. Co-auteurs du livre Je suis un Lebowski, tu es un Lebowski, Will Russell et Scott Shuffitt, sont également les fondateurs du Lebowski Fest. Depuis 2002, ce festival annuel célèbre le film et ses personnages à Louisville, au Kentucky (même si la Covid semble avoir mis un frein au festival ces dernières années). Des déclinaisons existent dans d’autres villes américaines (New York, Los Angeles, Austin, Seattle, Chicago, San Francisco…) ainsi qu’à Londres, avec le festival The Dude Abides.

La n’est pas en reste. Un Lebowski French Fest a eu lieu au bowling de Bordeaux Meriadeck en janvier 2019 et des séances spéciales ont eu lieu chez UGC et au Forum des images en avril 2018, à l’occasion des 20 ans de la sortie du film en . Peu importe le lieu, le principe est le même : durant une séance, ou tout un week-end, les participants célèbrent le film en revoyant le film tous ensemble, en jouant au bowling, en organisant des concours de costumes, des quiz, des concerts, le tout bien évidemment arrosé de russes blancs.

 

The Big Lebowski : photo, John TurturroRéunion de fans

 

D’un point de vue plus mercantile, il ne faut pas oublier les dizaines et dizaines de produits dérivés, muges, tee-shirt, le pull du Dude et son tapis, ou encore l’édition blu-ray collector vendue dans un coffret en forme de sac de bowling. Une boutique dédiée au merchandising du film a même existé à New York, entre 2011 et 2015. On ne compte plus les Lebowski bars et cafés qui fleurissent à travers le monde, servant des dizaines de variations autour du russe blanc.

The Big Lebowski a même finalement eu droit à une suite-spin-off autorisée par les frères Coen, puisque c'est John Turturro qui l'a écrit et réalisé. En 2019, il a ainsi repris son rôle dans The Jesus Rolls, qui est également un remake des Valseuses, de Bertrand Blier. Une idée parfaitement bizarre qui n'a intéressé personne, puisque le film a été un échec (et il n'est même pas sorti en ).

 

The Jesus Rolls : photo Jesus RollsQuelques années plus tard...

 

le dude consacré

Mais le culte autour du film n’est pas seulement populaire. La réhabilitation de The Big Lebowski est aussi ée par des cercles plus institutionnels. Les critiques ont révisé leur jugement sur le film, notamment Roger Ebert, qui a finalement classé le film dans sa liste de “Great Movies” et s’est fendu d’une seconde critique en 2010. Dans ce second avis, enfin touché par la grâce divine du Dude, Ebert écrit que “The Big Lebowski parle d'une attitude, pas d'une histoire. Il est facile de ne pas s'en rendre compte, parce qu’on s’engouffre si vite dans l'histoire”. Comme quoi, il n’est jamais trop tard…

Enfin, en 2014, c’est la consécration : le film entre au National Film Registry, une liste de films sélectionnés pour être conservés par la Bibliothèque du Congrès américain. Chaque année, vingt-cinq oeuvres sont choisies pour être ajoutées à la liste, pour leur impact culturel, historique et esthétique. Que dirait le Dude de cette accession au Panthéon cinématographique ? Il hausserait probablement les épaules, un verre de russe blanc à la main.

 

The Big Lebowski : photoLe style d'une vie

 

Tout comme le Dude, adepte de la slow life, qui a trouvé le bonheur dans sa petite vie routinière, les fans de The Big Lebowski aiment reproduire la petite routine que représentent les festivals qui lui sont dédiés, la répétition des rituels autour du film et son revisionnage.

Et si, au-delà des qualités du film, son culte était également dû à notre envie de pouvoir nous comporter parfois comme le Dude ? D’embrasser sa philosophie, de vivre comme lui, sans pression, sans se soucier du regard des autres et des attentes de la société. À l’époque du burnout courant, voire banalisé, est-ce qu’on ne pourrait pas, nous aussi, se couler douce de temps en temps, en sirotant notre russe blanc ?

 

La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter

Lisez la suite pour 1€ et soutenez Ecran Large

(1€ pendant 1 mois, puis à partir de 3,75€/mois)

Abonnement Ecran Large
Rédacteurs :
Tout savoir sur The Big Lebowski
Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
10 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
RobiₙDesBois
RobiₙDesBois
il y a 2 années

D’abord le départ de Simon et maintenant vous embauchez la Casabonne ! Ce site sombre chaque jour un peu plus, c’est catastrophique…

Miss M
Miss M
il y a 2 années

Ce film est pur….. tout simplement pur…

Mouais Bof...
Mouais Bof...
il y a 2 années

@Alulu ,oui Alexandre le Bienheureux est traumatisé et marqué par sa femme tyrannique . Le duke royal lui se la coule douce au nom de nous tous( la phrase de Sam Eliott est mythique). Il n’a pas besoin de trauma ou trauma pour flaner et glander .

Mouais Bof...
Mouais Bof...
il y a 2 années

@Flash .Comment j’ai oublié ce film qu’est Alexandre le bienheureux??? Effectivement très bon film francais. Merci

Je te conseille de le revoir . J’avais la même impression que toi lorsque je l’ai vu pour la 1ere fois.J’étais pas trop emballé par ce décalage .Mais aprè un deuxieme ,troisième et centième vionnage, tu verras des détails dont seuls les Coen peuvent nous concocter.

Flash
Flash
il y a 2 années

Alulu@的时候水电费水电费水电费水电费是的 en effet c’est ce film.

alulu
alulu
il y a 2 années

Comme Mouais Bof…, ce film est un monument, un paquet de scènes mythiques et une super BO. À chaque fois, je prends du plaisir à le revoir, définitivement, le plus grand glandeur qui existe au cinéma.

@Flash, J’ai un vague souvenir de Alexandre le bien heureux, c’est ce film ou le chien fait tout et son maître reste dans son lit. Si je ne dis pas de connerie, le perso à tout de même un trauma et c’est pour ça qu’il est paresseux. Le Duke, c’est le tout puissant glandeur, il respecte ses principes de vie, le mec est heureux comme ça.

Flash
Flash
il y a 2 années

Mouais bof@的时候水电费水电费水电费水电费是的 c’est plutôt Alexandre le bien heureux qui est une référence concernant l’éloge de la paresse.

Flash
Flash
il y a 2 années

Prisonnier@的时候水电费水电费水电费水电费是的 on doit être deux alors.
J’avais vu ce film lors de sa sortie et je n’avais pas accroché plus que ça.
Je cherche encore à comprendre , pourquoi ce Big Lebowski est aussi culte?

Prisonnier
Prisonnier
il y a 2 années

Est ce que je suis le seul de l’univers connu à m’être embêter devant ce film?

Mouais Bof...
Mouais Bof...
il y a 2 années

Ce film ….
Tellement de choses à dire sur ce monument . Jamais la fainéantise,la paresse n’ont jamais été si bien magnifié au cinéma.

Il y’a des films qui sont plus que des objets cinématographiques. Le réalisateur a « deux têtes » a engendré une oeuvre unique et attachante.

Et bordel cette B.O. L’un des plus grands , des plus spéciaux et des plus films qui m’ait été donné de voir dans ma vie.