Quand Fabrice Du Welz.
{videoId=1151746;width=560;height=315;autoplay=0}
C’EST QUE DE L’AMOUR
Le cinéma de Fabrice Du Welz charrie plus que sa part d’hommes et de femmes en rupture de ban. On y croise un aubergiste pas super concerné par les questions de consentement, des chasseurs zoophiles, des parents rendus fous par le deuil, des flics pourris, un dentiste porté sur le proxénétisme ou des arnaqueurs un peu assassins sur les bords. Si tous composent avec des ions éruptives, des névroses, une dose de folie et beaucoup de violence, il est une émotion qui les rassemble tous.
Il s’agit bien sûr de l’amour, qui s’avère presque systématiquement le moteur de l’action. Qu’on le protège, qu’on le cherche désespérément ou qu’on le fantasme, cet élan puissant qui pousse à se fondre dans l’autre est celui qui ordonne le récit, celui qui conditionne ses pulsations. Dès Calvaire, nous suivions un « Tintin asexué au pays des chasseurs » (dixit le réalisateur) surface plane, où chaque personnage projetait ses angoisses de solitude et ses espoirs d’amour, voire ses débordements fantasmatiques.
L'amour dans le sang. Ou le contraire.
L’énergie qui électrise les recherches de Jeanne et Paul dans Message from the King n’est pas différente, quoi que plus trouble. Jacob King débarque d’Afrique du Sud à Los Angeles, pour sortir sa sœur du cloaque où elle s’est enferrée. Morte ou vivante, l’amour fraternel ravagera tout sur son age rédempteur. En rapportant le plus souvent les conflits et les enjeux de ses protagonistes à cette pulsion amoureuse évidente, première, le cinéaste fait une proposition rare, qui s’affranchit de la plupart des mécaniques éculées du genre.
Et si le réalisateur est aujourd'hui un des artistes les plus accomplis dans la représentation de l'élan amoureux, il est aussi capable de le penser autrement que comme un éclair salvateur. Ainsi, dans presque tous ses films, l'amour, pour peu qu'il se transforme en une aspiration égoïste, une projection capable d'écraser l'autre, engendre toujours des monstres, des ogres. Le Mark Stevens de Adoration, c'est peut-être parce que l'amour que lui porte Paul est finalement une projection égotique, qu'elle era de victime à ogresse de conte. L'amour toujours, mais un amour qui ravage, écorche et ne laisse parfois qu'un tas de viscères fumants.
Quand on vous dit que le Christ est amour
MAUVAIS GENRES
Le genre justement, est une question à part dans le corpus qui nous intéresse. On pourrait hâtivement le ranger aux côtés des auteurs de la « French Frayeur » (génération de réalisateurs ayant successivement proposé des tentatives de genre à la française, au début des années 2000, sous l’impulsion éditoriale de Canal +). Mais si les metteurs en scène de À l'intérieur semblaient souvent s’inscrire volontairement dans ce qu’on appelle encore un peu grossièrement le cinéma « de genre », cette problématique existe différemment dans le cinéma de Du Welz.
Tout d’abord, parce que ses récits ne sauraient s’appréhender par un seul biais horrifique. Certes, Message from the King, malgré des héritages stylistiques toujours très marqués en apparence, chacun d’eux parvient toujours à s’échapper, pour surprendre et trouver une identité propre.
Adoration, nous suivons l’échappée amoureuse de deux enfants unis par une ion fiévreuse, c’est pour mieux explorer les grandes étapes des contes qui ont tapissé notre inconscient collectif. Le genre toujours s’invite et s’hybride, ne pesant jamais sur ses récits comme des cahiers des charges empesant le scénario.
Et si au début de sa carrière, le cinéaste évoquait volontiers ses influences anglo-saxonnes, avec les années, la part d’inspiration européenne a fait son chemin. Lors de la récente projection de la version restaurée de Serge Leroy, que la caractérisation des personnages chez Luis Buñuel. Ainsi, on s’ama parfois de retrouver dans son tout dernier long-métrage des accents de Cocteau, de Franju, comme si la palette de l’auteur ne cessait de s’élargir, à la seule condition de toujours de la sensorialité comme d’un chemin vers l’élévation.
LE ROYAUME DES ARDENNES
C’est pendant la promotion d’Adoration. L’expression restera, même si comme il l'explique dans un tout récent podcast de NoCiné, son prochain long-métrage pourrait bien s'inscrire dans cet univers.
Il n’empêche, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la cohérence et la progression opérée entre Adoration forment un mouvement ionnant, autour d’un triptyque thématique, figure plus que rare dans le cinéma contemporain. Au-delà des propriétés esthétiques ou des micro-erelles qui unissent ces métrages, c’est surtout leur nature de conte, qui leur permet de former un ensemble si évident et ionnant.
Y a pas à dire, c'est un beau pays
C’est une même nature qui se déploie, et la nature funèbre, figée, de Calvaire ?).
Et chaque fois que le cinéaste nous propose un titre à la connotation éminemment religieuse, c’est comme s’il prononçait du bout des lèvres un entêtant « Il était une fois ».
La lumière comme matière première
UN CINÉMA ORGANIQUE
Ce qui frappe instinctivement quiconque découvre un long-métrage de Fabrice Du Welz, c’est la dimension organique de son image. Farouche défenseur de la pellicule, l’artiste sera é du 35mm au Super 16mm, toujours avec l’idée d’aborder l’image de ses films non pas comme un matériau plane, mais comme une surface vivante et cabossée, capable de se tordre, de rugir et d’exhaler.
Et même quand il s’invite à Hollywood, le réalisateur ne peut traiter son Message from the King comme une énième série B emballée à la va-vite. Quand sa caméra arpente les bas-fonds de Los Angeles, c’est pour mieux ressusciter toute la crasse des seventies grâce à une photo qui écrase instantanément le tout-venant du cinéma industriel contemporain.
Bien plus poisseux qu'un Taken...
Non pas que le réalisateur soit un réactionnaire de cinéma (il vante volontiers les mérites de Mann ou Fincher, grands maîtres du numérique), mais son regard de plasticien considère les matières comme des vecteurs d’émotions à part entière. Un constat évident dans Manuel Dacosse.
Dans le premier, l’usage du noir, des teintes bleues et du grain de l’image se transforme petit à petit en miroirs déformants d’une romance qui era par toutes les étapes de la transcendance jusqu’à la folie brute. Dans Adoration, c’est le même procédé, marié à l’amour solaire porté à un territoire, ici les bords de la Moselle, qui insuffle à l’ensemble une vie propre.
Autant de singularités, d'idées et de désirs qui se combinent pour faire du cinéma de Adoration.
La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter