Ma sorcière mal-aimée
Plus de vingt ans après son succès sur les planches, l’adaptation sur grand écran de Wicked constituait un défi de taille, qui dée largement la popularité du show de Broadway. Ce dont Jon M. Chu s’empare, c’est d’un des mythes américains les plus cultes du XXe siècle, et de ses multiples métamorphoses, transmises de médium en médium. Le film, tout comme la pièce qu’il se réapproprie, l’explicite par sa première scène.
Juste après les événements du Magicien d’Oz, la mort de la Méchante Sorcière de l’Ouest est confirmée au peuple de Munchkinland. Dans une pure tradition orale, la parole se propage et se transforme en chanson, avant que Glinda, la gentille fée du Nord, ne raconte sa jeunesse à l’université Shiz aux côtés de l’antagoniste longtemps redoutée du monde d’Oz. En bref, il est question de transmission d’un récit et du point de vue qui l’énonce.
Ce mouvement, ce geste narratif, Wicked le traduit par un plan-séquence introductif virevoltant, comme une manière d’asseoir les symboles les plus identifiés des contes de L. Frank Baum dans un tour de montagne russe assumé, aussi joyeusement artificiel et magique que le long-métrage de 1939 et son Technicolor flamboyant. Portail d’un imaginaire “par-delà l’arc-en-ciel“, d’un appel à l’ailleurs autant référencé que le pays des merveilles de Lewis Carroll, Le Magicien d’Oz s’est imposé dans la culture populaire par les interprétations qui ont été tirées de son univers, et ses réincarnations.
En 1995, c’est l’auteur de fantasy Gregory Maguire qui a changé la donne avec sa saga de romans Wicked, prequels qui font de la Méchante Sorcière de l’Ouest (de son vrai nom Elphaba) la véritable héroïne de ce monde enchanteur, parasité par le politique du Magicien et sa soif de pouvoir. En 2003, Stephen Schwartz et Winnie Holzman se sont emparés de ce parcours émancipatoire tragique, et en ont tiré l’une des comédies musicales les plus populaires du XXIe siècle.

We can’t be friends
Wicked – le film – a conscience de tout cet héritage, et s’amuse à le mettre en scène dans une forme de synthèse mythologique qui frise le vertige. C’est même son équilibre casse-gueule : il reconstruit l’esthétique du chef-d’œuvre de Victor Fleming pour mieux la déconstruire. Tout du long de ses 2h40 qui ent à la vitesse de l’éclair, Jon M. Chu profite des morceaux de bravoure du musical pour convoquer un âge d’or d’Hollywood boosté par ses VFX.
Contrairement à La La Land (ou même dans une moindre mesure Joker 2), Wicked ne cherche pas tellement la post-modernité d’une comédie musicale plus rugueuse et imparfaite, portée par des performances physiques et vocales volontairement corrigibles. Tout repose sur un art maniaque du détail dans ses compositions de cadre, son montage, sa production design, ses décors et ses costumes, conjugués dans une envie de spectacle total.
Les longues prises et les mouvements de caméra déchaînés s’imprègnent d’un lyrisme envoûtant, inscrivant avec justesse le personnage d’Elphaba dans cet environnement magique qui révèle sa nature xénophobe et discriminante. Normal que dans cette immensité qui la rejette, M. Chu fasse du morceau The Wizard and I un hommage direct à La Mélodie du bonheur, avant de se rapprocher du visage plein d’espoir de son héroïne.
Ce contraste d’échelle, central dans l’approche de la mise en scène, est peut-être la véritable carte maîtresse de Wicked. Le film pourrait être englouti par son trop-plein, par son ampleur et par son envie de combler les ellipses de la pièce. Pourtant, il se raccorde en permanence à ses deux actrices principales. Dans son stoïcisme teinté de fragilité, Cynthia Erivo fait des merveilles, et marque avec brio la mue d’Elphaba, de l’ado réservée au bouc-émissaire contraint d’assumer son indépendance.
Mais il faut bien ettre que c’est Ariana Grande qui vole la vedette à chaque scène. Si on avait déjà perçu le talent comique de la pop star dans Don’t Look Up, son air de princesse ingénue s’avère idéal pour faire de Glinda cette pimbêche bourgeoise d’abord inable. Parce qu’il croit autant à l’humour du musical qu’à son émotion brute, Jon M. Chu opère une lente transition vers la dimension tragique de son histoire : la séparation inévitable de deux âmes contraires, qui s’étaient pourtant trouvées dans l’amitié (et même plus ?).
La seule frustration de Wicked réside d’ailleurs dans le couperet de ce parcours, puisque cette “Partie 1” n’adapte que le premier acte de la comédie musicale. Et en même temps, comment en vouloir à une proposition aussi généreuse, qui redéfinit avec une inventivité constante des chansons que nombreux ont rêvé de voir illustrées sur grand écran (le cultissime Popular, Dancing Through Life et sa bibliothèque tournante) ?

Libérée, délivrée
Il faut bien se faire une raison : que vous connaissiez déjà la pièce ou non, il y a peu de chances qu’un climax de blockbuster vous hérisse autant les poils sur l’épiderme cette année que celui de Wicked. En se concluant logiquement sur Defying Gravity (le tube du show), le film lâche les chevaux. La photographie se veut plus crépusculaire, et les voix d’Erivo et de Grande se mêlent une ultime fois avant de laisser l’actrice principale crier son acte de résistance dans un tourbillon scénique.
Le matériau originel a toujours été éminemment politique, et le grand spectacle cinématographique du long-métrage n’en oublie jamais cette donnée. On pourrait même dire qu’en offrant à sa caméra le point de vue d’Elphaba, et en s’imposant en contrechamp du Magicien d’Oz, cette version martèle encore plus la fin d’une innocence par l’éveil d’une conscience politique, du regard engagé.

Le monde d’Oz ne peut être que pollué dans sa pureté par ceux qui voudraient lui donner un ordre, un sens. Dorothy a suivi le chemin de briques jaunes, tandis qu’Elphaba s’envole vers d’autres horizons. Il peut paraître étonnant que l’Amérique, temple par excellence de l’artifice et du mythe pré-fabriqué, se ionne autant pour un conte qui appelle au lever de rideau, à la révélation des coulisses derrière le tour de magie.
C’était tout le paradoxe du film de 1939, sorte d’invitation dans la grandeur de la machine hollywoodienne. Pour l’amour du spectacle, on est prêt à accepter le trompe-l’œil, et la manipulation qui va avec. Christopher Nolan en tirait cette conclusion avec d’autres magiciens, ceux de son fabuleux Prestige : “Vous voulez être bernés”.

Wicked a dès lors cette idée magnifique de confier le rôle du Magicien d’Oz à un Jeff Goldblum parfait en patriarche mielleux. Toute la dernière partie du long-métrage dans les couloirs oppressants de la Cité d’Emeraude sous-tend cette question : comment raconter une histoire, et comment lui trouver le méchant adéquat ?
Nul doute que Jon M. Chu se connecte en tant que réalisateur à ces interrogations, lui dont la carrière à Hollywood a été faite de hauts (Sexy Dance 2 et 3, Crazy Rich Asians, D’où l’on vient) et de bas (G.I. Joe 2, Insaisissables 2, Jem et les hologrammes). Quelles sont les responsabilités du narrateur, rôle qui lui incombe autant qu’à Glinda (qui déclenche le flashback) et au Magicien (qui force cette haine généralisée contre Elphaba) ?
Sa réponse, il la trouve en ne laissant personne sur le bas-côté. C’est la prouesse de cette harmonie entre les diverses versions du conte de L. Frank Baum, sur lequel tout et son contraire ont été projetés. Le chemin tout tracé est-il vraiment celui à suivre ? Sur les rails du manège à sensations, n’y a-t-il pas autre chose à voir ? À la manière d’un Disneyland désenchanté, l’univers de Wicked oblige ses personnages à imposer leur regard, à regarder “par-delà l’arc-en-ciel“. C’est la beauté à double-tranchant de ce blockbuster dément, qui n’en devient que plus euphorisant par cette libération.
Une critique vraiment ironique.
Je ne suis pas familier des comédies musicales (seulement des films genre disney) donc j’avais un peu peur et en fait ça a été une agréable surprise. Le film est tout bonnement époustouflant, j’ai eu l’impression d’être à Broadway. Les 2 actrices principales sont excellentes dans leur rôle (la scène de leur danse le prouve merveilleusement bien). Alors ça chante, beaucoup, mais les chansons sont entraînantes et les tableaux sont vraiment bien chorégraphiés (la perf de Dancing Through Life dans la bibliothèque). L’histoire est bien ficelée, derrière les paillettes et les chansons fun se cachent des messages politiques forts et au combien importants (malheureusement) encore trop présents de nos jours : discrimination, racisme, abus de pouvoir, maltraitance animale… Et c’est avec Defying Gravity que Cynthia/Elphaba s’émancipe enfin, au delà des discriminations subies, et se libère dans une chanson et un tableau déjà iconiques m’ayant foutu les frissons.
Je ne connais pas bien le show de Broadway donc j’ignore ce que la suite réserve mais j’ai déjà hâte, maintenant qu’on sait le destin d’Elphaba je suis curieux de voir comment elle va en arriver là !
Je tiens à préciser que j’ai vu le film en VF et que je ne regrette pas, je félicite même les doubleuses pour leur super travail ! J’irai quand même voir le film en VO pour avoir les voix (magnifiques) originales mais en tout cas la VF n’est pas mauvaise du tout.
Critique qui reflète mon agréable surprise: j’y venais que pour retrouver les chansons et espérer de bonnes performances vocales et finalement j’ai été conquis !
J’ai même été ému, surtout lors
Aussi, oubli majeur de cette critique: Jonathan Bailey n’a que quelques scènes mais il vole les moments où il est à l’écran.
La bande annonce m’a pas vendu du rêve au contraire, malgré la critique positive, je ne pense pas me risquer à voir ce film.
Toujours pas convaincu. Surtout parce que je ne suis clairement pas la cible. Visuellement j’ai vraiment du mal, et apprenant qu’il y avait des extraits de la BO j’ai jété une oreille et musicalement c’est pas non plus du tout ma came. Mais au moins la bonne nouvelle c’est que si ce genre vous parle, c’est plutôt quali.
Bon j’avoue, a la vision de la bande annonce je faisais déjà un procès d’intention au film.
Ça m’arrive souvent et j’ai souvent raison.
C’est dans l’air du temps de chercher (jusqu’à l’absurde) des excuses aux grands « méchants » de la pop culture (Dark Vador, Maléfique, Cruella, même le Joker), du coup ça partait pas sur un bon pied.
Ensuite, sans aucunement dénigrer la qualité ou l’importance du film original de 39, j’ai jamais été fan de l’univers de Oz (a part la série HBO sur les taulards 😅), j’ai même pas vu le film de Sam Raimi.
Enfin, le nom de John Chu ne me vends pas particulièrement du rêve.
Mais là, j’ets sans honte que votre critique m’intrigue au plus haut point et me donne bien envie d’aller voir le film.
Erivo est une bonne comédienne d’après ce que j’ai vu dans Les Veuves et Ariana Grande ne me pose pas de problèmes particuliers (faut au moins ettre qu’elle est très photogénique).
Si en plus y a un vrai fond politique dans le film, pourquoi pas…
Par contre, 2h40 de projection (et c’est qu’une première partie), n’est-ce pas un peu beaucoup?
Pourquoi pas franchement,il en faut pour tout le monde…pas pour moi mais Vu les *biippp * sa a l’air bien pour les prochaines fête en famille 💪💪😁
Wow, je ne m’attendais pas à tant d’enthousiasme. Ça fait plus envie tout à coup que les critiques de Gladiator 2.
Il faut vraiment que je le vois en Vost.
J’ai cru comprendre qu’en VF les chansons étaient traduites, ce qui est ô combien ridicule. Aussi ridicule que la traduction des épisodes musicaux de Buffy et de Riverdale (oui, je sais que Riverdale c’est nul).
Faut croire que Ariana Grande ne rentrait pas suffisamment de pognon en remplissant des stades… j’imagine que le monde ne compte pas suffisamment de talents pour filer son pognon a tout le monde, autant en refiler a ceux qui en ont déjà.